«Ligne Droite et Cercle»
C’est, pour ma part, une découverte que cette exposition «Ligne Droite et Cercle» du vidéaste John Sanborn à la galerie de l’Angle à Paris. Parmi toutes les approches possibles que l’art vidéo donne à voir depuis un demi-siècle, celle-ci pose les termes d’une réflexion d’ordre introspectif autour de quatre pièces « portant sur la mémoire, les traductions confuses, le mythe de soi . »
Avant même d’entrer plus avant dans cette démarche, les œuvres montrées peuvent être appréciées pour leur attrait immédiat au plan plastique. Suivant les pièces, la vidéo est diffusée soit sur un écran unique soit dans un assemblage d’écrans, soit enfin dans un objet à l’intérieur duquel se loge une tablette numérique.
« Tue mon amour Are we smart enough to understand animals » John Sanborn
Chaque programme mis en valeur par une image vidéo très travaillée sur tous les plans techniques (superpositions, ralentis, jeux sur le chromatisme) possède ainsi sa propre qualité artistique.
Au-delà de cette vision première, John Sanborn nous dirige vers une lecture plus complexe. Entre cette ligne droite qui propose un sens et le cercle « qui laisse présager un mouvement récursif et de questions sans réponses« , la relation qui s’établit entre les écrans d’une même œuvre pourrait bien exprimer le développement d’une pensée se développant sans hiérarchie. On est plus proche, me semble-t-il, d’une pensée en rhizomes pour reprendre l’expression chère à Gilles Deleuze. Avec la juxtaposition des corps, des objets, des images, l’artiste tente de nous révéler un « entre-deux » fugitif, apportant son supplément de sens à cette tentative d’introspection vidéo.
Equivocal Value
Les pièces dédiées à la mémoire personnelle de l’artiste s’accrochent à quelques images rares et fragiles, anciennes photos de ses parents insérées dans un montage et un habillage graphique rendant davantage sensible encore cet enfouissement de la mémoire et vraisemblablement la souffrance de l’absence de relation avec son père. John Sanborn va même jusqu’à s’ inventer une histoire personnelle en s’appropriant une archive filmée d’une enfance qui n’est pas la sienne.
Pour cet artiste américain dont le parcours passe notamment par le Whitney Museum à New-York, le MoMA (où ses travaux ont intégré la collection permanente) et The Kitchen1 toujours à New York, c’est l’occasion de profiter avec cette exposition en galerie parisienne de ce qui peut être une découverte pour beaucoup même si la présence en France de l’artiste s’ est déjà manifestée en plusieurs lieux dont le Centre Pompidou de Paris. Il participe actuellement au 32ème festival international d’arts numériques Vidéoformes à Clermont-Ferrand.
Dans sa relation au monde John Sanborn ne s’attache pas pour autant à une réflexion d’ordre politique. C’est au plan de l’intime qu’il entend situer cette relation. « Si tu veux changer le monde, commence par toi-même. » conclue -t-il dans un de ses programmes.
Après les premiers pas de l’art vidéo dans les années soixante, avec notamment Fred Forest, Wolf Vostell, Andy Warhol et Nam June Paik avec qui John Sanborn a eu l’occasion de collaborer, les techniques de ce medium ont considérablement évolué et offrent aujourd’hui aux artistes des solutions de haute qualité tant sur le plan de la définition des images que sur celui des écrans multiples. Pour cet artiste sensibilisé aux questions de la musique très présente dans ses programmes, l’art vidéo devient un champ d’investigation ambitieux au point de préparer un opéra uniquement visible dans le cadre d’une œuvre vidéo. Ce que nous montre l’exposition privilégie cependant la vision intimiste, introspective d’un regard intérieur.
Photos: Galerie de l’Angle
John Sanborn
«Ligne Droite et Cercle»
Du 10 au 25 mars
Galerie de l’Angle
45 rue des Tournelles
75003 Paris