Officiellement, tout va bien. Au moins jusqu’aux Jeux Olympiques, vitrine internationale du pouvoir chinois. La Chine continue de faire miroiter son immense marché de producteurs consciencieux et de consommateurs potentiels aux investisseurs. La Chine accumule des excédents en dollars, la Chine exporte massivement, la Chine importe des biens d’équipements pour lesquels les pays occidentaux se livrent une concurrence féroce.
Officieusement, une réunion extraordinaire du Bureau Politique a eu lieu le 13 juin. En question, la légitimité des élites – donc le pouvoir – sujet grave en Chine. La vieille habitude communiste du savoir gardé secret et maquillé à usage de propagande ne peut masquer au monde attentif les fragilités chinoises de court terme : inflation, exposition aux catastrophes naturelles, tensions sociales et politiques, fragilité financière.
L’inflation est causée par la Chine mais s’impose à elle de l’extérieur. C’est bel et bien la ponction chinoise massive sur la production de pétrole et de métaux qui tend les prix mondiaux, même si peut s’y ajouter un zeste de spéculation ici où là. Mais le pétrole est rare, surtout depuis que l’Irak n’investit plus pour cause de guerre et que la production OPEP plafonne. Le prix du charbon – largement extrait en Chine – a augmenté de 33% depuis le début d’année, dans le sillage des prix mondiaux. Comme le gouvernement impose un prix « politique » à l’électricité, nombre de centrales au charbon produisent à perte, ce qui accentue leur dette et pèse sur l’emploi. L’acier est raflé sur la planète par les industriels chinois – y compris les déchets à recycler ! – pour cause de modèle économique fondé exclusivement sur l’industrie lourde. Vieille idée communiste là encore, qui vient tout droit de la conception 19ème siècle du « progrès ». Le pétrole et l’acier voient leur prix monter dans le monde entier à cause de l’activisme chinois et la Chine, qui importe beaucoup de ces matières, subit en retour le choc inflationniste.
A cela s’ajoutent les éléments naturels. La météorologie, due en partie au changement du climat renforcé par les pollutions industrielles (la Chine y prend une grande part), a retardé des plantations, noyé des récoltes, réduit la production de céréales. Le taux officiel d’inflation chinoise est bloqué à 8% depuis quelque temps, mais cet affichage « politique » ne représente pas la réalité quotidienne. Le prix du riz a grimpé de 60% en Chine depuis le 1er janvier. Le prix des viandes nourries aux céréales (poulets, cochons) a grimpé de concert, de même que leurs dérivés : œufs, lait, graisse. Autre événement naturel, le tremblement de terre du Sichuan a fait au moins 100 000 morts, 12 millions de déplacés, 20 milliards d’euros de pertes. Il a fragilisé les barrages hydroélectriques, les usines locales, désorganisé la production, fait grimper les prix.
L’inflation a été la cause originelle des tensions sociales qui ont conduit à la révolte de Tien An Men en 1989. Le pouvoir communiste chinois a eu chaud. L’inflation actuelle exacerbe le ressentiment populaire d’autant qu’il est brutal et que presque aucun filet de sécurité n’a encore été mis en place (chômage, santé, retraite). La corruption des autorités est manifeste, les écoles du Sichuan – bâtiments publics construits sur fonds publics et maîtrise d’œuvre publique - se sont écroulées plus vite et plus radicalement que les usines privées alentour. Plus de 10 000 enfants ont péri ; les secours ne se sont organisés que lentement ; très peu de moyens de levage étaient disponibles dans cette zone pourtant à risque sismique élevé. Cette incurie est venue s’ajouter à la gestion indigente des revendications tibétaines l’hiver dernier.
Quand le peuple a faim, que l’Etat ne protège pas ses enfants, que les élites vivent entre elles et se servent dans les caisses publiques - le peuple gronde. Quand le modèle économique date de plus d’un siècle et qu’il n’est manifestement pas soutenable à horizon de 20 ans - le pouvoir va dans le mur.
En effet, comment envisager de prolonger les tendances actuelles durant les prochaines années comme si de rien n’était ? Il n’y aura ni assez de pétrole, ni assez de métaux, pour assouvir la gourmandise du modèle actuel de production chinois. La vieille habitude communiste est d’ignorer les réalités jusqu’à la catastrophe finale (Tchernobyl, mer d’Aral, mur de Berlin). Seule la « volonté politique », d’après la vulgate marxiste, doit primer sur la nature et sur l’histoire.
Voire… Les investisseurs avisés ne s’y trompent pas. L’inflation en cours et les limites de la croissance font déjà anticiper une baisse de 17 à 20% des bénéfices des sociétés industrielles cotées. La bourse de Shanghai a baissé de plus de 50% depuis le début d’année.
Après les financements court terme asiatiques en 1997, les actions technologiques américaines en 2000, les obligations subprimes en 2007, l’immobilier en 2008 - l’année 2009 verra-t-elle le krach des bourses émergentes, emmenées par la Chine ?
Même si le potentiel des grands pays comme la Chine et l’Inde reste intact pour le siècle en cours, l’investisseur doit savoir raison garder. Son univers n’est pas le siècle mais l’année, et les quelques suivantes. Dans l’incertitude majeure d’aujourd’hui, ce ne sont pas les pays les plus fragiles à court terme qui devraient résister le mieux.
Alain Sueur, le blog boursier