Marc Dugain, «le combat des voraces contre les coriaces»

Par Pmalgachie @pmalgachie
Il y a bientôt vingt ans que Marc Dugain a publié son premier (et superbe) roman, La chambre des officiers, à propos d’une « gueule cassée » de la Grande Guerre. Depuis, il s’est rapproché de notre époque dont il scrute avec talent les dérives. Dans les trois volumes de la Trilogie de l’emprise, il s’attaque à la politique française et aux influences qu’elle subit. On le rappelle : c’est un roman. Un volume par an, ce fut le rythme de Marc Dugain pour sa Trilogie de l’emprise, ouverte en 2014, prolongée l’année suivante, bouclée l’an dernier avec un volume qui ressort au format de poche, et on n’a pas vu le temps passer de douze en douze mois. Moins, sans doute, que les principaux protagonistes de L’emprise, Quinquennat et Ultime partie : ils ont eu fort à faire pour sortir de nœuds où, souvent, ils s’étaient eux-mêmes placés. Quant au romancier, il a l’habileté de fournir au lecteur distrait, ou à la mémoire courte, voire qui n’aurait pas lu les volumes précédents (quelle erreur !), tous les éléments nécessaires à comprendre la tragédie politique et humaine qui trouve ici sa conclusion. Les piqûres de rappel sont administrées sans douleur, intégrées au cours de la narration au moment où elles sont utiles. C’est du beau travail, les artisans apprécieront le soin qui y a été apporté. Dans un thriller politique de ce type, on a surtout envie d’être emporté par un récit conduit tambour battant en compagnie de personnages aux caractères marqués. On n’est pas déçu. Philippe Launay a donc été élu à la présidence avec l’aide discrète mais efficace des Américains qui estiment avoir affermi sur lui leur emprise – d’où le titre, et le principal ressort romanesque de la dernière partie : comment y échapper ? Mais aussi avec la complicité de son ennemi juré, Lubiak, avec qui il a passé un accord : Launay se contentera d’un mandat puis passera la main à son principal adversaire qui, dans l’intervalle, se satisfera du ministère des Finances. Poste idéal pour faire fortune, ce qui intéresse beaucoup plus Lubiak que la politique, celle-ci n’étant qu’un moyen d’accroître ses richesses.  « C’est le combat des voraces contre les coriaces », dira Terence, journaliste d’investigation qui possède des dossiers très complets sur toutes les affaires de rétrocommissions et de coups fourrés des dernières années, celles du roman. La Ve République est pourrie, ce n’est pas Launay qui dira le contraire. Car celui-ci, sans aucun désir de profits personnels mais goûtant le pouvoir comme une abstraction, possède une colonne vertébrale qui le pousse à trahir les promesses faites à Lubiak. Après tout, il ne sera pas celui qui aura laissé le pourrissement aller jusqu’à une prise de pouvoir par l’extrême-droite, dont le parti est le Mouvement patriote. Car nous sommes dans une fiction… Les personnages ne peuvent en effet être confondus vraiment avec des politiciens en poste, ni avec de hauts fonctionnaires du genre de Corti, patron de la DGSI (il n’y a pas si longtemps, dans le premier volume, il était question de la DCRI, tout cela évolue parfois très vite). En revanche, les mécanismes du pouvoir et de la finance, ceux des influences diverses exercées par les pays les plus puissants ou stratégiquement importants ressemblent à s’y méprendre aux réalités que nous devinons parfois sous la surface des événements. L’actualité est un iceberg dont les médias fournissent la description de la partie émergée, tentant parfois de montrer ce qui se cache dans la partie immergée. Le romancier, libre d’imaginer, afin de mieux combiner les intentions, les sous-entendus et la réalité, peut nous faire plonger en apnée durable pour détailler ce à quoi nous n’avons pas accès.
C’est là, évidemment, que la chose devient excitante. Un peu trompeuse, aussi. Car la tentation est grande de superposer exactement le roman et le réel, puisque le roman se donne l’apparence d’un décryptage du réel. Le jeu est presque aussi trouble que celui des services secrets, et le piège fonctionne parfaitement. Preuve que le petit monde grouillant au sommet du pouvoir et dans ses environs est vraisemblable. On ne lui en demande pas davantage. On aurait tort de se montrer plus exigeant.