515ème semaine politique: pourquoi la campagne présidentielle est devenue prévisible

Publié le 18 mars 2017 par Juan

Où il est question d'une campagne présidentielle qui finit par devenir prévisible, des affaires de corruption du FN, du départ effectif de Valls du PS et des ultras de Sens Commun.


Le FN, parti violent et corrompu ?
Sale semaine pour le FN, voici une avalanche de publications sur les coulisses peu ragoutantes du parti qui s'apprête à emporter la France.
Sur la chaîne C8, un reportage en caméra cachée révèle quelques sales coulisses du FN Jeunesse à Nice. Un jeune responsable, 20 ans à peine et bien peigné, Bryan Masson, dévoile son vrai visage. Le jeune garçon était tout sourire sur l'estrade avec Marine Le Pen. Un autre frontiste, Benoît Loeuillet, élu local, tient des propos négationnistes. Le même Loeuillet s'étonne des propos, filmés, qu'il a lui même tenus ( "C’est avec stupéfaction que je découvre les propos que me prête la chaîne C8"). Le mensonge est un métier.
Un troisième ne renie pas ses fidélités avec les Identitaires. Nicolas Bay, secrétaire général du FN, est envoyé sur les plateaux radio-télévisés pour contenir l'incendie. Sur France 5, il reçoit en pleine face une leçon de journalisme. Sur France inter le lendemain, il s'énerve et dérape, approuvant les propos outranciers d'un Louis Aliot, ex-assistant parlementaire de complaisance de Marine Le Pen, sur le risque d' "importation" de 20 millions d'Africains sur le sol français. Sur France info le surlendemain.
On cherche toujours à comprendre ce que le FN voudrait faire pour "corriger" cette presse décidément trop critique.

Mercredi, deux journalistes publient quelques témoignages sur les sympathies nazies de Chatillon et Loustau. Sur France 2, les reporters d'Envoyé Spécial suivent à la trace les hommes de l'ombre de Marine Le Pen: Nicolas Crochet, l'expert-comptable attitré de Marine Le Pen; Frédéric Chatillon, le patron-fondateur de l'agence Riwal; et Axel Loustau, conseiller régional FN en Ile-de-France.
Tous trois sont déjà mis en examen, et depuis quelques temps déjà. Le temps judiciaire les rattrape. Les noms de Crochet et Chatillon sont sortis dans les "Panama Papers" en 2016: on y avait appris les détails d'une évasion fiscale entre Hongkong, Singapour, les îles Vierges britanniques et le Panama. Les donneurs de leçons de patriotisme planquent leur fric à l'étranger. 
Nicolas Crochet, est aussi celui qui a rédigé 18 des 23 faux contrats de travail d'assistants parlementaires européens du FN pour lesquels le Parlement réclame plus 6 millions d'euros au parti de Marine Le Pen; 23 emplois fictifs du FN, rémunérés entre 3 et 5 500 euros par mois avec l'argent des contribuables. Mieux encore, il a "oublié" de déclarer les charges sociales sur ces salaires. C'est un député européen, ex-FN, qui le révèle cette semaine:
Le Front national a grugé la Sécu.
Nicolas Crochet fut enfin le commissaire aux comptes des candidats frontistes aux législatives de 2012 et à ce titre mis en examen (en 2015) pour recel d'abus de confiance, complicité d'escroquerie, financement illégal de parti politique et blanchiment d'abus de bien social.
Frédéric Chatillon est ce grand gaillard discret qui est soupçonné de fausses facturations de matériel de campagne, remboursés par l'argent des contribuables, dans le cadre des campagnes du FN de 2012, 2014 et 2015.  L'UMP avait l'affaire Bigmalion; le FN a l'affaire Riwal. Là encore, quelques déçus du FN expliquent le racket, tout simple, si simple: Le micro-parti Jeanne de Marine Le Pen facture un kit de campagne (affiche, argumentaires, plaquettes, etc), obligatoire pour tous les candidats frontistes. Un kit hors de prix fabriqué par Riwal, avancé par un prêt de Jeanne au taux de 6,5% (versus 2% en moyenne chez les banques), remboursé ensuite par l'Etat.
La belle affaire.
Quand Chatillon voit sa société Riwal interdite de travailler pour le FN après sa mise en examen, son ami Loustau montre une autre structure. Les deux hommes ont été renvoyés cette semaine devant le tribunal correctionnel de Paris pour des soupçons d'"escroqueries au préjudice de l'Etat."
Loustau est ce gaillard costaud déjà surpris en train de frapper lors des manifestations anti-mariage gay, ou le bras tendu vers le haut, ou encore menaçant des journalistes. En 2015, il avait ainsi couvert un autre trésorier du FN qui menaçait de mort une journaliste de Mediapart.

Le FN est "le seul parti qui a une économie concentrée sur un groupe de sociétés qui tournent autour des mêmes personnes" déclare un ancien conseiller de Marine Le Pen. Toutes ces personnes sont par ailleurs désormais mises en examen.

Les sales costumes de Fillon
Fillon aussi devait être mis en examen. Un sort inévitable. L'accumulation des révélations depuis janvier sur ses aises avec l'éthique, la morale et sans doute la loi ne devait déboucher que sur cette issue. Effrayé à l'idée d'être attendu par des nuées de journalistes et photographes, Fillon fait devancer mardi son entretien chez les juges. Il refuse de répondre aux magistrats, lit un courrier, et repart libre, protégé par son immunité parlementaire: complicité et recel de détournement de fonds publics (avec l'emploi fictif de son épouse, puis de ses deux enfants), complicité et recel d’abus de bien sociaux, et manquements aux obligations de déclaration à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, rien que ça !
"C'est terrible de découvrir à quel point Fillon est cupide." Gérard Larcher.
Jeudi, les juges ajoutent le soupçon de trafic d'influence quand on apprend qu'un mystérieux fortuné a offert pour 48 500 euros de costumes à l'ancien premier ministre. Vendredi, le fortuné se dévoile. Et c'est le drame. Robert Bourgi avoue. Cet avocat est d'abord un intermédiaire de la Françafrique. Il se vantait il y a peu d'agir pour Chirac puis Sarkozy. "J’ai participé à plusieurs remises de mallettes à Jacques Chirac, en personne, à la mairie de Paris. (...) C’était toujours le soir. " expliquait-il aux médias en 2011.
"Imagine-t-on le général de Gaulle se faire offrir des costumes ?" Nicolas Sarkozy à propos de François Fillon
 

Sur l'estrade de ses meetings qui peinent à rassembler, Fillon multiplie les métaphores improbables ("combattant balafré"), les invocations au Général de Gaulle et les promesses de moralisation de la vie publique. Cet acharnement fascine. Fillon est une machine à faire voter Le Pen, pronostiquait Challenge en novembre dernier.
Cornaqué par les ultras de Sens Commun, Fillon dérive sans le réaliser. Il faut s'attarder sur la plateforme politique de Sens Commun. Le programme "officiel" de Fillon parait pâle en comparaison.
  • Faire reconnaître constitutionnellement le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme incluant la présomption de paternité. 
  • Réserver l’adoption aux couples homme-femme. 
  • Fermer la porte à la PMA pour les célibataires et les couples de même sexe et à la GPA sur le sol français tout en engageant une lutte internationale contre la GPA. (...) 
  • Faire de la lutte contre la pornographie, de l’éducation sexuelle et affective des jeunes et de la réduction du nombre d’avortements une grande cause nationale. (...) 
  • Supprimer le droit du sol et restreindre drastiquement les procédures de regroupement familial.(...)
  • Transmettre aux plus jeunes l’amour de la France (enseignement des éléments fédérateurs de l’histoire de France, lever des couleurs, chant de la Marseillaise et lecture d’un texte de notre patrimoine littéraire une fois par semaine, service civique hebdomadaire en 2nde, visite régulière de notre patrimoine national, ...) 
  • Rendre obligatoire pour tous l’impôt sur le revenu (...). 
  • Sortir de l’espace Schengen et rétablir sine die le contrôle aux frontières nationales. 
  • Mettre fin à la subordination de la souveraineté nationale à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) en se réservant la possibilité de se retirer définitivement de la Convention. (...)
  • Supprimer la durée minimale de 24 heures des temps partiels qui constitue une véritable entrave à la liberté d’embaucher. (...) Mettre en place, en cas de désaccord, des mécanismes d’arbitrage au niveau des entreprises et non des branches ou des secteurs (...) 
Source: Présentation du socle programmatique de Sens Commun

Au sein des Républicains, certains s'inquiètent de la prise de poids ou contrôle de ces militants du groupuscule conservateur. 
Ils ont raison.
Manuel Valls a quitté le PS
Qui en doutait ? En renonçant à soutenir le vainqueur de la primaire socialiste, Manuel Valls a quitté le PS. Valls avait tenté de prendre le parti, ce parti, amorphe, qui est d'abord une cagnotte et un appareil de conquête électorale, une histoire et un héritage. Jamais Valls, pourtant en rupture systématique depuis son entrée au gouvernement de Hollande en 2012, n'avait osé le quitter.
C'est fait.
Le sujet est moins l'élection présidentielle que la suite après la déroute d'avril, mai et juin prochains. Hamon n'a plus aucune chance, il est lâché par les siens, et inaudible. Il fait penser à Gaston Deffere en 1969. Parmi celles et ceux qui déclarent un vote dans les enquêtes sondagières, ceux de Benoît Hamon sont les moins sûrs de leur choix (44 %), devant ceux d'Emmanuel Macron (54 %), de Jean-Luc Mélenchon (58 %),  François Fillon (70 %) et Marine Le Pen (80 %). La bascule du camp socialiste à droite (Macron) ou à gauche (Mélenchon) a peut-être commencé cette semaine.
Mais Hamon a remporté une belle victoire. Il a chassé du PS l'ancien premier ministre.
Manuel Valls n'est plus socialiste. La question est peut-être de savoir depuis combien de temps. La confirmation est arrivée de l'intéressé lui-même. Sa déloyauté à l'encontre d'un parti qui l'a soutenu contre vents et marrées est inédite depuis le Congrès d'Epinay de 1971."Je ne parrainerai personne et je n'ai aucune leçon de responsabilité ou de loyauté à recevoir." explique-t-il.
C'est tout l'inverse. Valls a poussé Hollande vers la sortie. Il a théorisé les "gauches irréconciliables" et s'en étonne aujourd'hui. Il a tenté de faire trébucher Macron avec lequel les désaccords politiques sont pourtant inexistants. Il s'est présenté enfin pour gagner une primaire en clivant comme jamais le PS. Valls est otage d'une ambition personnelle dévorante. Bref, irresponsable.
Manuel Valls a quitté le PS cette semaine. Il est allé rencontrer François Bayrou. ll renonce à parrainer Benoît Hamon. Il se refuse à soutenir le vainqueur de la primaire socialiste à laquelle il a participé.
Qui est surpris ?
L'exemple hollandais
Le résultat des élections législatives aux Pays-Bas est exemplaire: primo, l'extrême droite ne remporte pas le scrutin, mais la presse (surtout en France) et les commentateurs se sont faits peur: "déferlante populiste sur l’Europe", "la tentation du populisme", les titres n'ont pas manqué pour divertir le public. Secundo, le gouvernement sortant de "grande coalition" social-libérale a été défait. Tertio, les socio-démocrates qui y participaient ne représentent plus rien. Montée du chômage, austérité budgétaire, libéralisme fiscal, les électeurs n'ont rien pardonné. Comme en Irlande ou en Grèce, les socialistes locaux égarés dans une politique inefficace et qui n'est pas la leur ont perdu leur âme, leurs électeurs et le pouvoir.
Qui ne voit pas de parallèle avec la situation française ?
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Le 18 mars, Jean-Luc Mélenchon rassemble à Paris pour la VIème République  - droit de révoquer un élu en cours de mandat;  non-cumul des mandats; élection des députés à la proportionnelle ; droit de vote à 16 ans ; vote obligatoire avec la reconnaissance du vote blanc.
  Changer de régime, l'affaire est urgente. Le régime présidentiel dont on louait la solidité agonise. Il suffira qu'une fasciste corrompue ou un ultra-catholique cupide s'installe au sommet pour qu'on réalise combien il est aussi dangereux. Les sondages placent toujours l'abstention au premier tour de l'élection présidentielle à un niveau record, entre 35 et 38%. 
Qui pourra dire qu'il ne savait pas quand l'irréparable ?
Ami(e) citoyen(ne), réveille-toi.