Arrivent trois comédiens en costume contemporain et chaussures vernies. Le décalage entre le niveau de langue du texte et leurs tenues choque encore plus. Et puis on s'habitue parce que le sens résonne énormément avec des situations qui semblent familières.
Le riche Timon vit entouré de flatteurs qui profitent de ses largesses. Acculé à une situation sans issue, il compte en vain sur ceux qu’il avait comblés et organise un dernier festin… Il s’enfuit alors pour mener dans une caverne une vie solitaire, jusqu’au jour où il découvre un trésor qu’il distribue avec malignité aux adversaires d’Athènes. Timon exhale ensuite son amertume dans un dialogue avec le philosophe Apemantus, son rival en misanthropie… Et voici venir les sénateurs : menacés par les troupes d’Alcibiade, pour supplier Timon de retourner dans la cité où l’on est prêt à lui rendre justice... Mais Timon ne reviendra ni ne pardonnera, allant jusqu’au bout de sa haine du monde aussi extrême qu’inexpiable.
On retiendra, évidemment, le charisme de Patrick Catalifo (qui a déjà joué à la Tempête d'autres pièces de Shakespeare comme Hamlet et le Songe d'une nuit d'été) dont le jeu, dans la première partie, est ponctué d'un petit quelque chose de nonchalant qui s'accorde avec le caractère du personnage qui dépense sans compter et en toute naïveté pour des "amis" qui se révéleront être des sangsues sans moralité.
Plus tard il incarnera l'homme assoiffé de justice, ne pouvant croire qu'on ne l'aime que parce qu'il est riche et qu'il est roi, qui mettra les coeurs à l'épreuve pour en avoir la certitude, puis enfin le misanthrope retiré du monde, ne se nourrissant plus que de racines, résolu à ne plus accorder sa confiance à personne et que rien ne pourra faire revenir sur sa décision.
Comme dans Le roi Lear, l’ingratitude est source de folie et les actes de générosité mettent à la merci de débiteurs sans scrupules. Égoïsme, avidité cachée, orgueil aveuglent les personnages. Dans cette satire tragique, la figure de Timon oscille entre le grotesque et le sublime, et la mise en scène révèle la puissance comique, sans occulter le sombre destin de Timon.
Aussi bien les excès de la première partie (qui pourraient d'ailleurs être poussés encore un peu, notamment les danses qui, le soir de la première, ne sont encore que des évocations de lubricité) que les renoncements de la seconde, on sent poindre les incohérences d'un système économique qui pourrait être celui du capitalisme occidental. Tout fait résonance. On en rit (beaucoup) mais cela donne à réfléchir ... la tyrannie par l'argent n'est que trop d'actualité et les dérives du monde contemporain transparaissent avec acuité. Que l'on parle de corruption et on voit très bien à quoi on peut penser, comme si l'auteur avait écrit hier.
La salle entière frémit quand on entend le diable ne savait pas ce qu'il faisait quand il a fait l'homme politique.
Les dialogues font mouche aussi sur le sens de l'amitié. Rares sont les personnes réellement désintéressées, y compris celles qui prétendent avoir de bonnes intentions et qui vous tournent le dos si leurs intérêts peuvent être mieux satisfaits ailleurs.
Timon est riche, mais c'est un coeur pur. C'est parce qu'il est désintéressé qu'il donne largement. Sans espoir de reconnaissance. Il croit ses "amis" semblables à lui. Son désespoir sera sans borne lorsqu'il aura perdu sa richesse ... c'est-à-dire précisément ses "amis". Seul Flavius, son intendant, lui demeurera fidèle.
Promettre c'est vraiment l'air du temps, dira-t-il avec amertume ... alors que les spectateurs n'osent en sourire, pensant aux récents rebondissements de la scène politique.
Il faut voir et écouter la moindre réplique de cette pièce dont la mise en scène fait ressortir toute la modernité.
Cartoucherie, Route Du Champ de Manoeuvre, 75012 Paris
Téléphone : 01 43 28 36 36
2 mars au 2 avril 2017
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont d'Antonia Bozzi