Mon père m'avait toujours poussé à émigrer : " Si j'étais toi, je partirais d'ici", me disait-il. J'avais enfin cette liberté et j'étais décidé à en profiter. Je voulais rester maître de mes gestes, de mes choix. J'ai eu la chance d'être aussitôt intégré à Magnum, ce qui me donnait une carte de visite. Mais je ne voulais surtout pas ressembler aux autres photographes. Je ne voulais pas de maison, pas d'attache sentimentale. Pendant seize ans, je n'ai fait des photos que pour moi, sans répondre à aucune commande de la presse. J'ai parcouru l'Europe sur la trace des Gitans, de leurs fêtes aux Saintes-Maries-
de-la-Mer aux foires à chevaux en Irlande... Je photographiais des choses qui n'avaient rien à voir avec eux, des images qui sont dans Exils. Je vivais avec le minimum sans jamais m'établir plus de trois mois au même endroit, ne possédant qu'un sac de couchage et des vêtements de rechange. Le soir, je dormais là où je me trouvais, souvent à la belle étoile, à l'écart des bourgades. Quand on me proposait une chambre avec un lit, je m'allongeais sur le sol avec mon duvet pour ne pas m'habituer au confort. Je redoutais le confort, les habitudes qui rendent aveugles. Certains pensent que j'ai vécu dans la misère. L'idée est folle : j'ai vécu dans la liberté."
Josef Koudelka : entretien dans Télérama 3503, du 01/03/2017