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La création et l’extension du Parc National de Kahuzi-Biega au Sud-Kivu dans l’Est de la RDC ont expulsé les populations autochtones pygmées de leur traditionnelle demeure qu’est la forêt. Cette expulsion sans aucune mesure d’accompagnement les a placés dans une vulnérabilité quasi-totale, menant ainsi une vie misérable, une vie d’errance, de mendicité et de dépendance. Dans la forêt, pour se nourrir, ils pratiquaient la chasse et la cueillette et pour se soigner ils avaient recours aux plantes médicinales qui poussent gracieusement dans la forêt qui ne coûtent rien et sont à la portée de tous.
Priver les pygmées de la forêt, c’est les priver de tous ces avantages qu’offre la forêt et ils n’ont pas de ressources pouvant leur faciliter l’achat des médicaments dans des pharmacies ou se faire soigner dans des hôpitaux et centres de santé modernes.
Économiquement, le préjudice causé aux pygmées par cette expulsion est grand en ce sens qu’ils sont désormais contraints d’adopter un nouveau mode de vie à partir de rien. Un mode de vie des populations bantous complètement différent du leur, sur des espaces de terres arables d’autrui et fortement limités avec un régime alimentaire plus ou moins moderne. C’est ainsi qu’ils ont été obligés de se convertir à l'agriculture et doivent désormais être sédentaires.
Une fois éjectés de la forêt, les pygmées se sont heurtés à plusieurs difficultés comme nous l’avons déjà fait remarquer mais une autre et non la moindre c’est la scolarisation. En entant dans les villages des peuples bantous, les pygmées ne savaient ni lire ni écrire et leur analphabétisme a été et continue d’être un véritable frein à leur intégration dans les communautés bantous, qui eux, étudient depuis l’époque coloniale.
L’analphabétisme des pygmées a renforcé leur sentiment d’infériorité par rapport aux Bantous mais aussi ils se considèrent comme des victimes d’une discrimination voulue. Selon Wenceslas Busane, professeur de droit administratif à l’Université Catholique de Bukavu et qui a menée une étude sur les pygmées au Sud-Kivu, les pygmées ont l’impression qu’ils sont considérés comme inférieurs aux populations bantous. "Dans la plupart des cas où les pygmées s’expriment, ils ne manquent pas de rappeler qu’ils ont des difficultés d’accès à tous les services publics notamment l’école et les institutions sanitaires", fait savoir le professeur Wenceslas Busane.
Eric Bagalwa est un jeune pygmée et l’un de rares à avoir fait les études universitaires grâce à l’organisation Environnement Ressources Naturelles et Développement (ERND) une organisation de droits congolais qui accompagne les populations autochtones pygmées expulsés des forêts du Parc National de Kahuzi Biega dans leur procès qui les oppose à l’État congolais et l’Institut congolais pour la Conservation de la Nature. Il est content de suivre de près le procès et demande à ses frères d’attendre son issu. "Comme premiers habitants et citoyens de ce pays, ça fait mal de voir comment on ne nous associe à aucune activité liée à notre pays, l’exemple éloquent c’est le dialogue qui vient de se tenir à Kinshasa, aucun représentant des peuples autochtones parmi les participants", a exprimé avec déception Eric Bagalwa.
Jean-Pierre Muzirhu un autre pygmée qui a étudié grâce à l’organisation ERND et aujourd’hui secrétaire exécutif de sa communauté se rappelle de sa peine quand il étudiait dans une école à prédominance bantous. "Moi j’arrivais à l’école pieds nus et les enfants bantous commençaient à me provoquer me demandant de rentrer dans la forêt pour ne pas les contaminer", se rappelle douloureusement Jean-Pierre Muzirhu en secouant la tête.
Aujourd’hui, il attend impatiemment l’issue du procès qui les oppose à l’État congolais où ils demandent d’être réhabilités dans leur droits c’est-à-dire retrouver leur traditionnelle demeure qu’est la foret. Mais grâce à ses analyses, Jean-Pierre Muzirhu semble être septique quant à l’issue heureux du procès et pense désormais à une éventuelle compensation. "En tant qu’intellectuel pygmée je vais continuer à défendre les droits de ma communauté mais si le gouvernement congolais trouve que c’est difficile de nous faire retourner dans la forêt, qu’il nous cherche un autre endroit", argumente Jean-Pierre Muzirhu. Selon lui ça fait 45 ans qu’ils ont été chassés de la forêt du Parc National de Kahuzi-Biega et que depuis tout ce temps, les autorités font entrer de l’argent à travers le tourisme. "Cet argent doit nous aider en contrepartie", souligne-t-il ajoutant que grâce à leurs études ils sont désormais en mesure d’évoluer dans l’entreprenariat si le gouvernement congolais leur donne des subventions.
Son scepticisme semble être partagé par le professeur Wenceslas Busane qui pense qu’aujourd’hui la forêt n’est plus appropriée pour donner aux pygmées un minimum de vie acceptable notamment l’habitat, l’accès à l’éducation scolaire et aux soins de santé. "Personnellement je pense que ces personnes ayant vécu un contact avec la civilisation, il n’est plus très évident que dans la forêt ils soient à l’abri notamment des maladies avec le froid", explique-t-il.
Le 30 septembre 2016 au Palais du peuple à Kinshasa, les peuples autochtones pygmées ont attiré l’attention des députés nationaux et sénateurs sur la nécessité d'appliquer une loi spécifique qui les protège. La RDC a voté en faveur de l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les Peuples autochtones (DNUDPA) le 13 septembre 2007. Depuis ce vote, elle a l’obligation d’assurer la mise en œuvre de la Déclaration et de veiller à ce que les droits des peuples autochtones soient respectés, protégés et promus.