Les indésirables de Diane Ducret 5/5 (26-02-2017)
Les indésirables (320 pages) est paru le 1er mars 2017 aux Editions Flammarion.
L’histoire (éditeur) :
Au début de la Seconde Guerre mondiale, Eva et Lisa, deux amies jugées indésirables, sont internées par l'Etat français dans un camp au beau milieu des Pyrénées. Recréant un cabaret, elles chantent et dansent l'amour et la liberté en allemand, en yiddish et en français.
Mon avis :
Avril 1933, Berlin. Lise Mahler, 23 ans, voit l’atelier de couture de sa mère fermer par les hommes en noir de la SS. Elles choisissent de tout quitter pour rejoindre Paris et le monde libre. C’est à Chatenay Malabry, dans les premières habitations bon marché de France qu’elles trouvent refuge. Mais, mai 1940 arrive déjà et Lise, comme toutes les femmes célibataires ou mariées sans enfant, doit rejoindre le Vélodrome d’Hiver.
Eva Platz, fille d’une famille aisée (d’un père dentiste et d’une mère cantatrice), pianiste originaire de Munich, choisit de fuir la dictature et le régime instauré par Hitler pour s’installer en France en 1933.
A 36 ans, en mai 1940, alors qu’elle vient d’accepter la demande en mariage de Louis, ce dernier (ébéniste œuvrant aux cotés des travailleurs immigrés et des réfugier pour lutter contre les forces hitlériennes) s’engage dans une mission de résistance au Luxembourg, tandis qu’elle est forcée de se rendre au Vélodrome, retrouver les autres femmes devenues des Indésirables sur le sol français. Mais, sans jamais savoir ce que son futur époux est devenu, elle ne cessera jamais de lui écrire.
« La piste de bois si lisse est devenue un champ de larmes et de regards perdus. » Page 36
« C’est beau la guerre, avait-elle toujours pensé lorsque, jeune femme à Munich, elle voyait passer sous ses fenêtres des formations entières de soldats aux uniformes impeccablement coupée et repassés avec soin, le cheveux courts, l’épaule droite, le pied assuré, dont les bottes de cuir inspiraient le courage et la fierté. Et soudain, face à ce troupeau de femmes hagardes, la guerre lui apparait comme une maladie. » Page 34
« Le soir aux couleurs de mai tombe sur la verrière et irradie les cloitrées du Vélodrome d’Hiver d’une lumière rosée aux reflets orangés. Soudain, les mille ampoules de la structure s’allument et donnent à l’édifice un air de bal-musette. » Page 42
C’est Lise qui, cherchant désespérément une âme sœur pour se soutenir mutuellement, fait le premier pas vers Eva aux pissotières, lieu pourtant improbable pour voir naître une amitié…Et quelle amitié !
« Lise a traversé la piste et examiné chaque femme. Elle a trouvé dans leurs yeux de la colère, de la peur, de la haine ou du désespoir, mais elle cherche quelque chose de plus. (…) Il lui faut une amie qui aura dans le regard ce qu’on peut lire chez les mères, une force vive faite d’espoir et d’attention. Lise n’est pas une fille de mots, elle parle avec les yeux. Mais de mères ici, il n’y en a pas. Puis elle aperçoit Eva. (…)
Eva lève les yeux sur cette femme, elle peut voir couler le sang dans ses veines tant sa peau est diaphragme. Aucune malice ne se cache sous ses cheveux aussi noirs que les siens sont clairs, ni dans sa bouche si rouge qu’elle lui semble avoir le cœur aux lèvres. » page 48-49
L’une blonde, l’autre brune, l’une aryenne l’autre juive, toutes deux, fuyant le nazisme, arrivées sur le sol français pour y vivre librement, toutes deux unies dans le premier regard.
« L’aube point enfin au-dessus de la vallée du Rhône. Par les lames de bois, les indésirables découvrent les oliviers verts argenté au milieu des collines aux reliefs apaisant. Aucune n’avait fait un si beau voyage. » page 61
Avec d’autres, elles seront conduites vers les Pyrènes pour être installées dans le camp de Gurs, camp construit à la hâte pour y entasser les réfugiés masculins (brigades internationales, membres du Bando Republicano…mal vus par la population française) dirigé par Alain Davergne, un jeune commandant de 35 ans qui se voit alors pris au dépourvu, forcé d’accueillir des femmes…
« Lettre G, baraque 25. Les coordonnées de leur naufrage. » page 82
Un groupe de douze femmes de l’îlot K, posant devant la baraque 2
Les indésirables est un roman poignant, intense et merveilleusement bien conté qui nous plonge dans les horreurs de la guerre mais celles qu’on a longtemps cachées et qui aujourd’hui encore demeurent totalement obscures tant les témoignages et les preuves sont rares.
S’il s’agit effectivement d’une témoignage sur un des camps de la seconde guerre mondiale, c’est loin d’être une histoire redondante car il est avant tout question ici de la question des réfugiées du régime nazi, que l’on a déportées et internées car jugées dangereuse, inquiétantes et les indésirables, parquées dans ce camp de Gurs, dont il ne reste aujourd’hui quasiment rien.
Dans ce contexte de guerre difficile où la mort, les conditions de vie déplorable et les mauvais traitements sont monnaie courante (un contexte très bien rendu, juste et précis), il est avant tout question d’amour et de maternité (sous toutes ses formes et à tous les niveaux).
Car Diane Ducret nous entraîne dans un roman puissant et lumineux.
J’ai adoré ! j’ai été tout autant portée par un vif intérêt pour cette question des réfugiés allemands (ou étrangers de nationalités divers mais d’origine allemande) dont je n’avais pas la moindre idée, que par la beauté, le positif, l’amour et l’humour portés par ces femmes tellement courageuses. L’auteure leur rend un vibrant hommage à travers ces pages. La narration allie la beauté des mots et la brutalité des situations. C’est dur mais c’est beau, presque supportable, comme s’il y avait toujours de la beauté dans l’horreur, et que l’obscurité ne pouvait exister sans la lumière.
La cruauté, l’absurdité, la puanteur côtoient ainsi l’humour, la bonhomie, la poésie et la musique.
« Une pluie battante vient émouvoir la patiente file qui s’est gonflée de nouvelles arrivées, deux mille frêles oiseaux aux plumes détrempés. » page 35
« - Il ne s’agit pas de se prostituer, mais de résister. Les français nous ont emmenées ici, nous affament, nous insultent, nous traitent d’indésirables. Forçons-les à nous aimer, si nous voulons survivre ! Tu sais quel est le point commun entre les Français et les allemands ?
-Ces temps-ci, la fièvre des camps ?
-Non, les cabarets. » page 151
« Un piano à queue, au bois lisse, aux jambes fines et au dos rond. Les pieds dans la boue, il semble si précieux que les Espagnols ne peuvent s’empêcher de le caresser avec des murmures d’admiration. Aux yeux émerveillés d’Eva, c’est le plus bel instrument que la terre ait jamais porté. L’apparition a quelque chose de surnaturel, de magique. Les oiseaux ont sans doute attendu cet instant pour lui entonner une mélodie créée pour l’occasion. A ce moment-là, comme à dessein, l’aurore déclenche son feu de couleurs. Si la nature peut s’unir ainsi à l’homme, il y a de l’espoir. » page 157
Les indésirables est une fiction, construit sur la base du récit historique, qui rend hommages à ces femmes qui, coute que coute, sont restées femmes et vivantes, habitées par une volonté de vivre, de survivre et de relevé la tête.
Un roman lumineux que je vous recommande vivement, pour (mieux) connaitre ce pan de l’occupation et faire la connaissance de femmes merveilleuses.
Pour en savoir plus : une rencontre Babelio et un site