L'animal n'était pas noir. Il n'était pas fort. Il était paresseux et avait des oreilles duvetées, une bête dont on se moquait. Le mieux qu'on pouvait dire de l'animal est qu'il était mignon. Telle est la description que Lukas Bärfuss fait du Koala dans son livre.
A la fin mai, Lukas Bärfuss se rend dans sa ville natale, Thoune, où vit son frère, pour donner une conférence sur un poète allemand, Heinrich von Kleist, qui s'est suicidé, après avoir abattu son amie Henriette Vogel, un double suicide, ou plus exactement un meurtre et un suicide.
Il fait signe à son frère, qui y habite, qui est en fait son demi-frère et qu'il ne voit guère que de temps en temps, ne serait-ce que parce qu'il évite de se rendre à Thoune, ne l'ayant pas tout à fait quittée de [son] plein gré vingt-trois ans plus tôt.
Son frère ne va pas bien, mais il ne peut se douter qu'il va mettre fin à ses jours quelque six mois plus tard, peu avant Noël, en se faisant une injection mortelle d'héroïne après s'être allongé dans sa baignoire et en ne laissant derrière lui que quelques affaires vite réparties.
Il s'interroge sur les motifs d'une telle décision qui suscite l'opprobre: Le suicide parlait de lui-même, il n'avait nul besoin d'une voix, nul besoin d'un narrateur. S'accommoder au début de ce silence général ne l'empêche pas de chercher à comprendre.
Il s'intéresse d'abord aux illustres suicidés, puis aux amoureux, enfin aux pestiférés. Mais ni l'héroïsme du libre arbitre (insipide dans le cas de [son] frère), ni la passion ne lui correspondent: Son acte semblait découler de la lucidité, d'un bilan à froid...
Quand il se remémore son frère, lui apparaît un homme qui rejetait le travail, l'effort, et ne poursuivait jamais de but. Il prenait ce qui lui tombait du ciel. Et comme c'était peu de choses, je le croyais malheureux. Il se distinguait. Il n'investissait pas etc.
Toutes ses investigations ne le mènent nulle part. Mais peu à peu le nom qu'on avait donné à son frère chez les scouts dans son enfance envahit son esprit, le hante et il finit par le voir partout, c'est le nom d'un marsupial, d'un animal de l'autre bout du monde: le koala
Il se persuade dès lors que son frère n'a pas perdu une bataille contre lui-même ou contre ses vices, mais contre un adversaire plus grand, plus puissant et surtout plus ancien et que cet adversaire, c'est ce nom totem qui lui a été attribué chez les scouts.
A première vue cet animal n'est pas représentatif de son frère, mais Lukas Bärfuss se renseigne sur lui, retrace son histoire depuis les origines du monde et son récit, devenu romanesque, voire épique, emmène le lecteur d'un continent l'autre...
Le suicide de son frère prend alors une toute autre dimension. Mis en correspondance avec le destin du marsupial, un temps menacé d'extinction, il revêt une signification qui ne fait pas pour autant dévier l'auteur de sa propre voie puisqu'à la fin il se met au travail...
Francis Richard
Koala, Lukas Bärfuss, 176 pages Zoé (traduit de l'allemand par Lionel Felchlin)