En 1965 (15 ans avant ce texte) Roger Garaudy s'entretient avec
Ahmed Ben Bella, alors Président de la République algérienne
Le monde dit de la "Renaissance", né avec la découverte de 1’ AMERIQUE est en crise. Et,avec lui, la civilisation qui en est issue . Etonnantes réussites: la maladie recule , les épidémies jugulées, 1'homme n'a-t-il pas atterri sur la lune ? Mais à quel prix, et en vue de quoi ?
Au prix des plus grands crimes de 1' histoire des hommes: le génocide de la race rouge ; le massacre d'une autre race : la race noire, par la traite, et le torrent de sang qui accompagna 1'entreprise planétaire du colonialisme . Ces crimes sont trop présents dans les esprits pour qu'il soit nécessaire de s'y arrêter trop longtemps. Sur ce fond de sang éclaboussé pour permettre le pillage le plus systématique, le plus rigoureusement poursuivi depuis plus de quatre siècles et demi, une fleur vénéneuse s'est épanouie: le capitalisme et son essence: 1’exploitation.
Des hommes lucides ont tenté d'y porter remède. MARX en théorisa la disparition. Pourtant ce mort en puissance put s'assurer une longue vie, et la lutte engagée contre lui ne s'est pas déroulée selon le schéma suggéré par le dogme. Dans le combat engagé le marxisme a porté bien des stigmates de son plus mortel ennemi: le goulag en est le plus évident, car il découle des fins de la société de consommation, avec son prix effroyable au plan de 1'homme . Ce système qui jusqu'ici, avait pu surmonter toutes ses crises, donne des signes de faiblesse graves , et la vérité apparaît peu à peu. Son jugement est froid, implacable: ce système est définitivement malade. Ce ne sont pas les idéologies qui ont dévoilé les réalités, c’est la nature:1a biosphère qui le récuse et met en évidence son caractère prédateur et malfaisant. Il est fait une utilisation insensée des richesses de la nature. La sanction est là, impitoyable: la pollution de la nature tel un cancer est inséparable de celle des esprits. Elle a ouvert la voie au fascisme , au nazisme, au goulag ,à la bombe raciste d'HIROSHIMA et de NAGASAKI. Ce jugement peut paraître sévère. L'aberration du système mondial le justifie amplement. La vague de la récession, tel un bélier, heurte les murs de la citadelle d'argent. Le chômage s'amplifie. La violence aveugle est tapie dans 1'ombre ou bien elle se promène la fleur à la boutonnière. La drogue massive, 1'alcoolisme, c'est la multiplication des lits pour malades mentaux dans les hôpitaux ou asiles. L’égoïsme se pare des oripeaux de 1’individualisme. Les vieux sont massivement relégués dans des asiles, parfois fleuris, mais toujours manquant d'âme. Quarante et un pays du Tiers Monde sont tellement endettés qu'ils sont incapables d'honorer les intérêts de cette dette. Ils vivent de la charité publique. Ces 430 milliards de dollars de dette du Tiers Monde sont appelés à devenir 1300 milliards en 1990 et 2000 milliards en 1'an 2000. 1OOOO dollars par tête de PNB de 1'américain face aux 200 dollars du malien ! La ridicule somme de 20 millions de dollars -, même pas le prix d'un avion moderne de combat -, allouée à 1'Organisme mondial de la Santé pour combattre les maladies tropicales qui accablent 1 milliard d'hommes du Tiers Monde. 50 millions d' êtres humains, dont 15 millions d'enfants, meurent de faim chaque année. Voilà ce qui signe la faillite de ce système et rend urgentes les décisions pour y remédier.
Ce que 1'on baptise dialogue Nord - Sud est une dérision. Ce dialogue est en vérité un monologue d'épiciers. Le monologue des nantis. Les autres formulent un recours en grâce. Ce monologue conduit à un suicide collectif. Seule la prise de conscience du drame qui se joue permettra un changement de cap salutaire, pour un vrai dialogue , pour un devenir commun, pour la prise en charge des composantes de chaque entité afin de préserver son intégrité. La composante essentielle en est la culture.
Ahmed BEN BELLA (1980)
[NDLR: Ce texte, dactylographié, est issu des archives personnelles de Roger Garaudy. J'ignore à ce jour s'il a été publié ou non]