Toponymie

Par Jrb

Goutte d'Or, Barbès, Château-Rouge, La Chapelle, Montmartre, Clignancourt... voilà des toponymes familiers pour les Parisiens et plus particulièrement pour les habitants du 18e arrondissement. Mais de quels lieux parlons-nous exactement ? Entre les délimitations administratives, les usages des habitants et la perception extérieure, médiatique notamment, il bien difficile de s'y retrouver. Alors sortons les cartes et précisons les contours de ces territoires du Nord de Paris.

Détail de la façade de la mairie du 18e arrondissement

(cliquer sur les images pour agrandir)

Un peu d'histoire

Pour mieux comprendre comment se sont dessinés les contours du 18e arrondissement, de ses quartiers et de celui de la Goutte d'Or en particulier, il convient de se pencher sur son histoire et particulièrement à celle de leur création en 1860.

Napoléon III, avec le concours du préfet de Paris Haussmann, veut continuer la transformation urbaine de Paris en repoussant ses frontières, alors matérialisées par le mur des Fermiers généraux (le "mur murant" Paris), jusqu'aux fortifications de Tiers (l'actuel périphérique) en annexant les communes limitrophes. L'opération ne se fait pas sans heurt, certaines communes des faubourgs sont très réticentes à cette annexion, voire totalement opposée comme le conseil municipal de la ville de la Chapelle Saint-Denis mené par son maire Hébert qui en était un farouche adversaire

"Le ville de Paris se donnant des étrennes et s'octroyant seule les maisons de la banlieue"

Cet agrandissement oblige à un nouveau découpage administratif. Les douze anciens arrondissements sont redéfinis et les communes annexées constituent huit nouveaux arrondissements. L'ensemble forment les vingt arrondissements que nous connaissons aujourd'hui, chacun étant partagé en quatre quartiers administratifs.

Carte de l'agrandissement de Paris de 1860 Atelier Grand Paris

Chaque nouvel arrondissement ainsi que ses quartiers sont numérotés et portent des noms de lieux emblématiques pour les caractériser. Ainsi, le dix-huitième arrondissement, dit "des Buttes Montmartre", est formé à partir de plusieurs communes faubouriennes et se compose comme suit : le quartier des Grandes Carrières (n°69) qui englobe une partie de Montmartre ainsi qu'une portion des Batignolles et une de Saint-Ouen ; le quartier de Clignancourt (n°70), du nom de l'ancien hameau dépendant de Montmartre, qui s'étend sur la partie orientale de Montmartre ; l'ancienne commune de La Chapelle Saint-Denis est elle divisée en deux pour former les quartiers de La Goutte d'Or (n°71) et de La Chapelle (n°72).

 Plan des 20 arrondissements de Paris, Andriveau Goujon, 1860

Le quartier administratif de la Goutte d'Or a pour limite le boulevard de la Chapelle au Sud, les rues Marx Dormoy et de la Chapelle à l'Est, le périphérique au Nord et une partie du boulevard Barbès et la rue des Poissonniers à l'Ouest.

  

Quartier administratif de La Goutte d'Or

Il tient son nom d'un petit hameau qui qui s'étendait sur le versant Sud de la Butte des Couronnes (ou Butte des Cinq Moulins) et dont le territoire était circonscrit entre l'actuelle boulevard de Barbès et la rue des Poissonniers à l'Ouest, le boulevard de la Chapelle au Sud, la rue Caplat à l'Est et la rue Polonceau au Nord (alors rue des Couronnes). Ce hameau tenait lui-même son nom d'une auberge à l'enseigne de Goutte d'Or, établie à cet endroit. La rue de la Goutte d'Or tient son nom de son tracé qui conduisait à ce petit hameau.

Jusqu'au milieu du 19e siècle, la partie urbanisée comprise entre le hameau de la Goutte d'Or et la place de La Chapelle formait le hameau Saint-Ange, du nom des promoteurs qui fit lotir ces terres, Monsieur et Madame Truttat de Saint-Ange. La partie du boulevard de la Chapelle qui longeait ce hameau, entre la place de la Chapelle et la rue de la Charbonnière, s'est appelé boulevard Saint-Ange et la place formée par le croisement des rues de Chartres et de la Charbonnière était nommé place Saint-Ange, tous deux perdirent officiellement leur nom en 1877.

Annonce pour une vente aux enchères "d'une maison et dépendances sisesau hameau Saint-Ange" au 21 rue de Jessaint (Le Constitutionnel, 22 juillet 1849)

Mais la consécration administrative du nom de la Goutte d'Or fera assez vite disparaître le nom de Saint-Ange des usages et seul le pont Saint-Ange qui enjambe les voies de chemin de fer du Nord perpétue la mémoire de ce nom. 

Partie Sud du futur quartier de la Goutte d'Or sur le plan du cadastre, 1846

Après cette petite révolution l'usage va vite populariser le nom de la Goutte d'Or, mais essentiellement pour la moitié Sud du quartier administratif. La partie Nord est alors presque totalement occupée par des activités industrielles et ferroviaires, pour nommer ce territoire, on se sert de repères toponymiques comme les portes de La Chapelle ou des Poissonniers ou encore la gare de marchandise de La Chapelle. 

La Goutte d'Or

Aujourd'hui, les habitants du cru sont toujours très attachés au nom de la Goutte d'Or pour nommer leur quartier. Mais ce toponyme se restreint à un territoire moins vaste que le quartier administratif, compris dans un quadrilatère formé par le boulevard Barbès à l'Ouest, le boulevard de la Chapelle au Sud, les voies de chemin de fer du Nord à l'Est et la rue Marcadet au Nord (voir carte en annexe plus bas). Les parties du quartier administratif de la Goutte d'Or situées au Nord de la rue Marcadet et à l'Est des voies de chemin de fer se retrouvent plutôt sous les vocables de Marcadet-Poissonniers, Amiraux-Simplon, Marx Dormoy, La Chapelle, Chapelle-International ou encore Porte de La Chapelle.

Bon nombre de signes dans la vie au Sud du quartier rendent visible cet attachement à l'appellation Goutte d'Or, citons notamment : l'association Accueil-Goutte d'Or (rue Laghouat), le bar la Goutte Rouge (rue Polonceau), l'association la Goutte d'Ordinateur (rue Léon), la Brasserie de la Goutte d'Or (rue de la Goutte d'or), l'association Cavé-Goutte d'Or, le restaurant À la Goutte d'Or (rues de la Goutte d'Or et de Chartres), l'auto-école La Goutte d'Or des Nations (rue de la Goutte d'Or), la boucherie La Goutte d'Or (rue de Chartres), la Coopérative alimentaire de la Goutte d'Or (rue Stephenson), le jardin partagé itinérant La Goutte Verte, le média numérique gouttedor-et-vous.org ou encore l'association Espoir Goutte d'Or (rue saint-Luc).

 Des gouttes d'or sur les grilles du square Saint Bernard-Saïd Bouziri pour la fête de la Goutte d'Or, le 10 juin 2015

Mais si ses habitants se réclament de la Goutte d'Or, de l'extérieur on confond souvent le quartier avec le carrefour dit "Barbès". Cette confusion tient à une véritable révolution des usages toponymiques à Paris qu'a opérée l'arrivée du métro.

Barbès 

À Paris, on se repère par ses monuments, par la Seine, par ses quartiers ou encore par les portes qui l'entourent. Mais l'arrivée du métro au début du 20e siècle, qui essaime ses stations dans la capitale, va donner de nouveaux repères topographiques aux Parisiens. Et leur importance est telle que les stations de métro ont créé de nouveaux noms de territoire.

La station de métro Barbès-Rochechouart, où se croisent les linges 2 et 4, et plus souvent nommée dans sa version abrégée de "Barbès", est de ces stations. Elle tient son nom des deux boulevards qui se joignent ici. Le boulevard de Rochechouart porte le nom de Marguerite de Rochechouart de Montpipeau (1665-1727), une abbesse de Montmartre ; le boulevard Barbès, initialement boulevard Ornano jusqu'en 1892, doit son nom à Armand Barbès, surnommé le Bayard de la démocratie. Le carrefour formé ici parles boulevards Rochechouart, Magenta, de la Chapelle et Barbès, marqué par la station de métro "Barbès", est rapidement devenu pour les Parisiens le "carrefour Barbès".

Le carrefour Barbès est établi sur l'ancienne Barrière Poissonnière, une porte secondaire qui ouvraient le Mur des Fermiers généraux, qui marquait là l'entrée de Paris jusqu'en 1860. Une barrière qui servit elle aussi en son temps à nommer ses environs.

J. L. G. B. Palaiseau, "Barrière Poissonnière" 1819

L'usage a fini par consacrer Barbès pour désigner le carrefour où se joignent les 9e, 10e et 18e arrondissements et les rues environnantes, influencé notamment par la réputation commerciale du lieu qui dépasse les frontières nationales, "Tati Barbès" restant encore un référent topographique, dans les pays du Maghreb entre autres.

Carrefour Barbès, mai 2015

Mais pour la majorité des habitants dans le quartier, si vous parlez de "Barbès" en lieu et place de la Goutte d'Or, et si ce n'est pour désigner le carrefour ou le boulevard éponyme, vous serez vite identifié comme une personne extérieure et peu informée sur le secteur que vous évoquez.

Château Rouge

Autre station de métro qui marque son territoire environnant de son nom : Château Rouge. Cette station sert aussi aujourd'hui à nommer ses environs mais, contrairement à la station Barbès-Rochechouart, elle rétablit ainsi un toponyme ancien. En effet, la station de métro tient son nom de la place du Château Rouge où elle est située. Cette place a été nommée en souvenir du Château Rouge, propriété qui abrita le célèbre bal éponyme, sur les terrains duquel elle fût ouverte. 

Le Château Rouge s'étendait sur la commune de Montmartre, entre le chemin de Clignancourt (aujourd'hui rue Ramey) à l'Ouest, la rue des Vinaigriers (aujourd'hui rue Christiani) au Sud, le chemin des Poissonniers à l'Est (le chemin -puis rue- des Poissonniers était la frontière entre les communes de Montmartre et de la Chapelle jusqu'à leur annexion à Paris) et débordait l'actuelle rue Doudeauville au Nord. Le parc a commencé à être loti durant la première moitié du 19e siècle, un lotissement qui fit totalement disparaître la propriété avant la fin du 19e siècle. Peu à peu, le nom du Château Rouge ne finit que par désigner la place éponyme. Mais l'ouverture de la station de métro a fait resurgir le nom du Château Rouge qui désormais rayonne au-delà de la place du même nom.

 Lotissement du Château Rouge, source: Paris Atlas Historique

Aujourd'hui, le territoire informel qui se dessine autours de la station de métro et que ses habitants et visiteurs nomment Château Rouge (voir carte en annexe plus bas) recouvre peu ou prou les frontières de l'ancienne propriété qui avait vu le jour à cet endroit à la fin du 18e siècle. Ici, le métro à réussi à faire resurgir et perpétuer un toponyme que l'urbanisation avait failli faire disparaître.

Goutte d'Or-Château Rouge

La mise en place des Conseils de quartier, une expérimentation de démocratie participative, dans les arrondissements parisiens a dessiné des contours de quartier qui se veulent plus proche de la réalité sociale vécue. Ainsi le 3e Conseil de quartier du 18e arrondissement prend pour nom Goutte d'Or-Château Rouge. Son territoire est délimité par les boulevards de Rochechouart et de la Chapelle au Sud, la rue de Clignancourt à l'Ouest, la rue Ordener au Nord et les voies de chemin de fer du Nord à l'Est.

Conseil de quartier Goutte d'Or-Château Rouge

La partie Nord du quartier administratif de la Goutte d'Or est logiquement séparée, ces deux parties ayant chacune une vie propre comme nous l'avons évoqué plus haut (voir également la carte en annexe plus bas). Il en est de même pour la partie à l'Est des voies de Chemin de fer dont la vie est tournée vers le quartier de La Chapelle. Si les alentours immédiats de la station de métro Château Rouge trouvent leur place dans cette configuration avec une vie qui se confond avec celle de la Goutte d'Or, on peut être plus dubitatif sur la partie Ouest comprise entre le Boulevard Barbès et la rue de Clignancourt. En effet, ce que les promoteurs immobilier nomment le "bon coté du boulevard" (sic) est plutôt tourné vers Montmartre ou vers la mairie du 18e près de la rue Ordener. Il n'est même pas certain que les habitants de ce coté sachent qu'ils font partie de ce Conseil de quartier. D'ailleurs, les séances plénières du Conseil de quartier Goutte d'Or-Château Rouge n'attirent guère que les habitants de la Goutte d'Or, pas au-delà du boulevard Barbès. 

  

Bezbar

Finissons par une dénomination un peu moins connue mais néanmoins marquante dans le territoire qui nous intéresse : Bezbar.

Verlan de Barbès, Bezbar est utilisé dans la culture urbaine et rap pour désigner un territoire qui s'étend sur la partie Sud de la Goutte d'Or, comme un "Barbès" élargi (voir la carte en annexe plus bas). D'un usage oral, on retrouve ce toponyme vernaculaire à travers des tags sur les murs du quartier. On peut également rencontrer des rappeurs dont le nom revendique son attache au quartier comme l'Indien 2 Bezbar ou Guy 2 Bezbar. Évoquons enfin le morceau de la Scred Connexion : B.E.Z.B.A.R.

Fresque improvisée, rue Caplat, janvier 2017

 Documents annexes

Limites du quartier administratif de la Goutte d'Or et du Conseil de quartier Goutte d'Or-Château Rouge

Précision : les territoires informels représentés ici sont indicatifs et ne reflètent pas forcément l'acception que chacun peut s'en faire. Il a fallu recourir à des limites arbitraires pour traduire des appartenances territoriales subjectives.  

Limites des territoires informels