Je pensais que les choses deviendraient faciles avec le temps, parce que sans doute on pense que le temps qui passe atténue…peut-être mais ne simplifie rien pour autant. Je gardais les yeux fermés le jour, je les écarquillais la nuit, j’en chiais comme une novice d’attendre patiemment que le truc cesse de dégouliner, mais rien…la boue qui remplissait mon caniveau et même pas de vagues. Stagnation totale. Bon, de toutes les façons j’avais pas choisi de l’écrire ce merdier de roman. Le truc qui s’impose connement, les lettres échappent, les mots qui débordent et cent cinquante pages d’un jet à l’arrache…ouais facile mais après ?
Doit-on finir le roman que l’on aurait commencé contre soi ?
Ouais, navrant.
J’avais bouclé la partie 1 et aucun doute que ce truc tenait le bitume aussi royalement qu’une merco classe SL. Restait cette putain de partie 2, la 3 sortirait d’elle-même, je savais déjà ça.
Mais j’avais besoin de Rob pour la 2.
J’avais besoin de Denis.
Rob ou Denis qu’est-ce que ça fout ?
Rien.
C’est lui qu’il me fallait.
Je ne pouvais plus écrire toute seule et ça ne servait à rien de lutter, même si quand on résiste ça voudrait dire toujours vivant…je sais pas...reste à me prouver ça encore…on n’est toujours mort... un peu... de toutes les façons.
Rob ou Denis qu'est-ce que ça fout ?Rien.
Qui d’autre aurait réussit l’exploit ?
Un ange.
N’existe pas.
Okay.
A l’intérieur je bouillais et du dehors j’étais restée la même. C’est ça qui aurait dû m’avertir.
Sauf que j’ai fait comme si de rien. Moi j’étais pas faite pour passer à côté, mais pour tomber dedans. C’est toujours ce que finissent par faire ceux qui ont eu la trouille toute leur vie…basculer. Toujours.
Est-ce que pour autant ça aurait pu faire mal ?
Oui.
Rien d’autre.
Sur le trottoir d’en face Denis m’attendait et le passage piétons s’était effacé sur la route déserte, et y avait plus de passerelle, ni de tunnel.
Je le regardais de loin et je me disais que l’un de nous deux n’avait pas compris, ou alors si, lui et moi on savait et c’était bien pire. Mon cœur dans ma cage thoracique s’est mis à faire mal, j’ai traversé la rue, je voulais savoir.
Il tenait une enveloppe kraft sous le bras, et c’était peut-être la mienne. Il n’avait pas pu, il n’avait pas su, il n’avait pas voulu, je sais pas. J’ai jeté un œil mauvais sur le travail qu’il semblait refuser de faire pour une raison qui me semblait bonne mais que je détestais trop.
Il a commencé à ouvrir la bouche pour me dire un truc, et c’est parti plus fort que moi, je lui ai foutu mon poing dans la gueule. Avant que j’ai pu réaliser l’horreur du truc, j’ai vu son nez qui saignait, et il a souri.
Ce con, s’est fendu d’un sourire.
Et moi, je suis tombée dedans…
Acte II, scène 3.