Sur le terrain de l’art contemporain, au gré des investigations, il est possible de découvrir quelques pierres disposées dans les espaces publics, sur le sol des galeries, dispersées dans les aires naturelles. Ces présences signalent l’existence d’une œuvre rare, discrète, venue d’un artiste qui ne l’est pas moins : Daniel Pontoreau.
» Première pierre » Daniel Pontoreau 2016
Comment regarder ces témoignages d’un geste artistique qui ne se livre pas d’emblée, objets qui laissent planer le mystère sur leur origine ? Aérolithes venus d’espace inconnus ? Monolithes érigés par quelque civilisation disparue ? N’attendez pas de Daniel Pontoreau qu’il vous propose une lecture définitive de ce que vous avez sous les yeux. Cette désignation même de pierre est trompeuse. Terre réfractaire, fonte de fer, céramique, porcelaine, voilà quelques pistes pour tenter de cerne ces créations.
Lorsqu’il installe sur une place de Strasbourg l’imposante « Pierre trouée » (2003) en hommage à son ami sculpteur Jean Clareboudt, la pièce affirme sa masse solitaire comme pour mieux faire ressentir les forces telluriques d’une telle apparition, révéler les tensions auxquelles le promeneur ne peut rester insensible en jouxtant l’œuvre.
Quand il dépose à Ivry sur Seine « La pierre couchée » (1995-1997) le sculpteur met en présence deux formes étranges en fonte de fer émaillée créant entre elles un dialogue à la fois silencieux et singulier où les mots glissent sur toute tentative de définition. Déjà en 1992, Daniel Pontoreau s’était emparé du « Champ du feu » dans les Vosges, pour mettre en scène ses mégalithes (également en fonte de fer) et cinq cents blocs de marbre venus d’Inde.
« Chaque élément paraît relié aux autres par des liens invisibles, à la manière des réseaux telluriques.» expliquait-il.
Au vu de ces quelques exemples se précisent les indices qui nous permettent de tenter une approche de cette œuvre ésotérique. Le sculpteur ne s’attache pas à une forme pour elle même. Dans son mythique « Pierrot le Fou » Jean-Luc Godard fait lire à Jean-Paul Belmondo ce texte d’ Elie Faure :
« Vélasquez après cinquante ans ne peignait plus jamais une chose définie. Il errait autour des objets avec l’air et le crépuscule… Il ne saisissait plus dans le monde que les échanges mystérieux qui font pénétrer les uns dans les autres les formes et les tons… L’espace règne… ».
Galerie Fatiha Selam mars 2017
Daniel Pontoreau, pour nous entraîner dans sa quête, explore cet espace indicible, jalonne de ses pierres le chemin qui mène vers cette relation au monde initiée depuis plus de quarante ans. Artiste nomade, c’est de l’Amérique aux Indes, de l’Iran au Mali que l’artiste cherche dans les civilisations millénaires les réponses que les hommes ont apporté à cette lancinante question de leur présence sur terre, de leur rapport à la planète à travers les champs magnétiques, les ondes telluriques, l’énergie des volcans, cette confrontation permanente entre la terre et le feu. La terre se révèle donc comme l’élément symbolique que l’artiste invoque à la fois dans sa cosmogonie et dans sa matière immédiatement accessible.
« Je me demande si la terre a quelque chose à dire. Je me demande si le sol écoute ce qui se dit. Je me demande si la terre est venue à la vie et ce qu’il y a dessous » clamait le chef de la tribu amérindienne des Cayuses.
Daniel Pontoreau reprend à sa manière cette inquiétude et fait de cette terre la matière de son interrogation incessante. Avec ces pièces en céramique, à travers les dialogues qu’il tente d’établir entre ces éléments primaires, l’artiste sème sur son itinéraire ces pierres comme autant d’offrandes à un parcours initiatique.
Depuis son exposition à la galerie Fatiha Selam à Paris en 2014 jusqu’à celle qui s’ouvre aujourd’hui, de l’ambitieuse exposition internationale Ceramix en 2016 aux somptueuses pièces noires qu’il réalisa comme artiste invité à Shigaraki au Japon en 2009, œuvres récemment acquises par le Museum of Ceramic Art Hyogo, c’est ce même questionnement qui s’opère à la fois dans ce que nous appellerons sculptures et dans ces productions en deux dimensions réalisées par couches successives et composées de formes en creux ou en relief, l’ensemble soumis à des tensions dans des tableaux aux cadres indécis.
Daniel Pontoreau est aussi passionné d’astrophysique et dans cet univers où « L’espace règne« , sa présence au monde ne se limite pas à la planète. Au point que, dans cette approche mentale de la matière dans toutes ses composantes, c’est peut-être d’une pierre philosophale qu’il est question ?*
Photos: Daniel Pontoreau et Galerie Fatiha Selam
Daniel Pontoreau
11 mars/22 avril 2017
Galerie Fatiha Selam
58 rue Chapon
75003 Paris