Le jour où j’ai décidé de l’abandonner, je me suis sentie comme une traitre. Pourtant, je l’ai aimée et n’ai aimé qu’elle. Comme si c’était par manque d’amour pour elle que je la quittais. Mais je la quittais parce que je n’étais plus capable de l’aimer correctement.
En amour comme quand je lis, j’ai toujours aimé prendre mon temps.
J’aime ouvrir un livre, le feuilleter, le lire un peu jusqu’à ce qu’une phrase m’accroche, puis le refermer et penser à cette phrase pendant quelques temps. Écrire un peu, si la phrase m’inspire. Mais prendre le temps de peser chaque mot.
Je reste accrochée à des détails. Comme ton accent, ton rire ou la face que tu faisais quand tu venais. Mais j’en suis venue à tout haïr de toi. De l’amour à la haine.
Avec elle, j’ai eu une relation amour-haine dès nos débuts.
Mais depuis quelques temps, je l’haïs tout court. Je ne peux pas passer plus de deux minutes avec elle sans avoir envie de claquer la porte. Elle m’énerve. Ce que j’ai aimé d’elle, au départ, je le déteste aujourd’hui. Je ressentais une connexion par-delà les mots avec elle. Quelque chose de physique, de concret.
Depuis quelques temps, elle se prend pour une autre. J’ai appris à connaître une part d’elle que j’ignorais. De cette connaissance nouvelle, c’est comme si un pan entier de sa personne s’effondrait. Ce que j’aimais, chez elle n’est plus ou ne peut plus être dans ces conditions, du moins.
N’ayant eu de regard que pour elle, où qu’elle ait été et où que j’aie pu être, dans l’absence, dans le malheur, dans la fatalité des choses mortes, dans la nécessité des choses vivantes, dans le silence et dans la nuit, je la quitte pour mieux lui revenir; pour lui revenir autrement.
À elle, je dis éternellement : “Viens”, et éternellement elle est là. Je l’ai trompée et elle me pardonne sans arrêt, résiliante comme elle est, mais j’ai l’impression de la trahir un peu plus chaque fois que je vais voir ailleurs.
Je ne veux pas théoriser mon amour pour toi. Je suis une praticienne, pas une théoricienne. Je veux t’écrire des lettres d’amour que je t’envoie par la poste au lieu de chercher à connaître la formule derrière tes paroles. Pour t’aimer, je dois exister en dehors de toi.
Aujourd’hui, je porte du noir, comme si j’allais flasher mon linge de funerals. Adieu, les études littéraires. Mais ce n’est qu’un au revoir, la littérature.
© Egon Schiele