Vous êtes-vous déjà demandé comment étaient nés certains tableaux de maîtres ? Lisa Stromme, l’auteur anglaise qui vient de publier Car si l’on nous sépare chez HarperCollins, a été interloquée lorsqu’elle a découvert Le Cri, le célèbre tableau d’Edvard Munch. Dès lors, elle a décidé d’imaginer l’histoire de cette fameuse peinture. Le mercredi 1er mars dernier, une trentaine de lecteurs Babelio se sont réunis au Cercle Norvégien de Paris, afin de discuter avec elle du destin énigmatique de ce peintre pas comme les autres…
1893 : Le petit village de pêcheurs d’Åsgardstrånd, en Norvège, se prépare à l’arrivée de la noblesse mais aussi à celle d’un cercle d’artistes très controversés, la Bohême de Kristiania. Tous viennent profiter du fjord, dont la lumière estivale décuple la beauté. Johanne Lien, la fille d’un modeste fabricant de voiles, devient le temps d’une saison la servante de l’impétueuse Tullik Ihlen. La jeune femme l’entraîne dans sa passion pour Edvard Munch, dont les toiles scandalisent les estivants. Johanne est captivée par l’émotion brute qui se dégage de l’oeuvre du peintre et accaparée par la liaison secrète qu’il entretient avec Tullik. Mais très vite, elle comprend qu’elle devra dissimuler bien plus que des rendez-vous amoureux…
Un vieux mari
Lisa Stromme ne se souvient plus exactement de la première fois où elle a été confrontée à l’oeuvre de Munch, véritable monument de la peinture du XXe siècle : “Je vivais avec sa peinture comme j’aurais vécu avec un vieux mari depuis trop longtemps : je connaissais son oeuvre, mais je n’y prêtais véritablement attention. C’est quelqu’un que je portais en moi sans m’en rendre compte.” Pourtant, alors qu’elle croise pour la énième fois le célèbre tableau du peintre, Le Cri, l’écrivain perçoit pour la première fois la force qui en émane, alors que ce dernier est vendu pour 120 millions de dollars aux Etats-Unis et décide de lui consacrer un ouvrage.
Le plus bel endroit du monde
Décidée à en savoir plus sur la vie de Munch, Lisa Stromme se rend dans la ville que le peintre occupait chaque été, en Norvège : “Lorsque j’ai découvert la petite ville de Åsgardstrånd, j’ai appelé mon mari et je lui ai dit que j’avais trouvé l’endroit le plus beau du monde. Le paysage, la lumière, tout est particulier dans cette région où il fait, contre toute attente, très beau l’été ! Et mes parents qui pensaient que les Norvégiens vivaient avec les ours polaires !” Séduite par l’endroit, Lisa Stromme décide de s’installer dans les environs de ce lieu magique pour mieux saisir l’histoire du célèbre peintre et mener à bien son projet.
Raillé
Munch n’était pas le seul à vivre dans la province norvégienne. En effet, la petite ville d’Åsgardstrånd abrite au XIXe siècle de très nombreux artistes et bohémiens : “La ville a attiré beaucoup d’artistes, les soirées y étaient folles à l’époque de Munch.“ Au loin de ces agitations, le peintre du Cri est une personnalité très calme et extrêmement timide. Si cette population qui s’agite autour de lui, lui a permis d’exprimer sa créativité, elle l’a également beaucoup brimé. En effet, si Munch est considéré comme un maître aujourd’hui, il a commencé par être moqué par ses contemporains, qui pensaient qu’il était dangereux de regarder ses peintures”
Changement de plan
Au départ, c’est le tableau Le Cri qui intéresse particulièrement l’écrivain anglais. En effet, le projet initial de son roman était d’en raconter l’épopée : “Je me suis intéressée au tableau lorsqu’il a été vendu aux Etats-Unis pour une somme affolante; je me suis demandé d’où venait cet engouement. J’ai alors commencé mes recherches et suis progressivement tombée amoureuses de cette peinture jusqu’à ce qu’elle devienne une véritable obsession.” Fort de ces lectures et de son voyage à Åsgardstrånd, le projet de l’écrivain bascule : “Lorsque je suis arrivée là bas, tout est devenu plus simple pour moi. J’ai donc finalement décidé de simplifier mon idée de départ et d’écrire l’histoire d’amour entre Munch et sa muse ; c’est ce que ce lieu magique m’a inspiré.” S’inspirant de personnages réels, l’écrivain se lance alors dans la peinture de cette bohème norvégienne, et enquête sur la supposée relation du peintre avec une “fille de bonne famille”, qui devient peu à peu la pierre angulaire de son roman.
Roman et histoire
La vie de Munch demeure relativement méconnue et Lisa Stromme a effectué un énorme travail documentaire pour pouvoir se permettre de la mettre en scène : “C’était effrayant de se frotter à un personnage si connu. J’avais tellement lu à son sujet que j’avais l’impression de partager ses idées, que ses émotions passaient à travers moi et c’est précisément ce que j’ai essayé de retranscrire dans le livre.” Si elle est parvenue à incarner à ce point le peintre, c’est grâce à son écriture : “Ses textes m’ont littéralement traversée. Munch aurait été un excellent écrivain. Ses journaux sont magnifiques, extrêmement poétiques. Il aimait d’ailleurs beaucoup écrire et inventer des histoires autour de ses peintures.” Portée par ces histoires, l’écrivain a choisi la forme du roman, plutôt que le document historique pour son avantage indéniable du point de vue des émotions : “L’important avec la fiction est qu’elle permet de faire naître des questions et surtout d’ajouter de l’émotion, bien davantage que dans un travail universitaire, soumis à l’historicité des faits.”
La muse histoire
Par-delà un fort intérêt pour la peinture, si Lisa Stromme s’est tournée vers la vie du peintre, c’est avant tout par passion pour l’histoire : “L’histoire est ma muse. Lorsque je regarde de vieilles photos, je ressens l’envie d’écrire à leur sujet. Dès que je touche un objet ancien, qu’il s’agisse d’un tissu ou d’un meuble, des histoires me viennent en tête ; les temps anciens m’inspirent beaucoup.”
De ce roman est né chez l’écrivain un intérêt tout particulier pour le XIXe siècle, qu’elle a décidé d’explorer une nouvelle fois dans son prochain roman : “Mon prochain ouvrage porte sur Alfred Nobel. Il a écrit son testament ici, au Cercle Norvégien. J’ai découvert qu’il s’agissait d’un homme extrêmement intelligent et relativement incompris par la société de son époque, tout comme Munch, j’ai l’impression d’être attirée par ces génies incompris.”
C’est sur cette amusante note que se clôture la séance de questions-réponses avec l’écrivain, suivie d’une séance de dédicace pendant laquelle les lecteurs ont eu la chance de pouvoir échanger directement avec l’auteur.
Retrouvez Car si l’on nous sépare de Lisa Stromme, publié chez HarperCollins.