Les éditions Vagabonde ont publié récemment L’Histoire des nuages, 99 méditations, de Hans Magnus Enzensberger, dans une traduction de Frédéric Joly et Patrick Charbonneau.
Division du travail
Tout ce que tu ne sais pas faire :
faire atterrir le gros-porteur plein à craquer,
démontrer le théorème de Mordell,
tricoter – les autres le font pour toi,
peu doué comme tu l’es, dépendant
du bienheureux Saint Florian,
du directeur de prison, de l’homme
aux pinces isolantes, de la voyante,
de l’éboueur, du chamane,
et sans oublier la maman.
Tous savent faire quelque chose, ensemble
subviennent à tes besoins, te distraient,
et, que tu le veuilles ou non,
te tiennent compagnie – mais toi ?
Arbeiststeilung
Alles, was du nicht kannst:
Den wollbeladenen Jumbo landen,
Die Mordellsche Vermutung beweisen,
stricken – die andern tun es für dich,
unbegabt wie du bist, angewiesen
auf den Heiligen Sankt Florian,
den Gefängnisdirektor, den Mann
mit des Isolierzange, die Wahrsagerin,
den Müllkutscher, den Medizinmann
und, nicht zuletzt, auf die Mama.
Alle können sie etwas, tragen bei
zu deinem Unterhalt, deiner Unterhaltung,
leisten dir, ob du willst oder nicht,
Gesellschaft – und du?
/
Onomatologie
Mon chien, mon cratère lunaire, ma mare aux canards :
tous baptisés, ayant tous trouvé leur propriétaire, tous pourvu
de prénoms, de noms de famille, de sobriquets et de toponymes.
Tukkum par exemple, Tasso ou Au bon coin.
Même le désert, vide comme il l’est,
est appelé désert de machin, Tögrög, Burget Tuyur,
Betpak-Dala. La mer aussi est qualifiée.
Les cartes sont maculées de chiures de mouche.
Seuls les moustiques en ont réchappé,
à moins que vous connaissiez des anophèles prénommés
Adalbert ou Gustav ? Au contraire, les comètes,
les nébuleuses, les galaxies… oh, nous nous en assurons !
Comme si nous savions ce qu’était Babylone
rien qu’en appelant Babylone Babylone.
Comme si nous ne savions pas que la plupart des choses,
presque tout, serait aussi là sans nous.
Namenkunde
Mein Hund, mein Mondkrater, mein Ententümpel:
Alles getauft, in Besitz genommen,
mit Ruf-, Haus-, Spitz- und Flurnamen eingedeckt.
Tukkum zum Beispiel, Tasso oder Zum Schiefen Eck.
Sogar die Wüste, leer wie sie ist,
heißt Soundso-Wüste, Tögrög, Burget Tuyur,
Betpak-Dala. Auch das Meer ist beziffert.
Mit Fliegendreck sind die Karten gesprenkelt.
Nur für die Mücken hat es nicht mehr gereicht,
oder kennt ihr Moskitos, die Adalbert
oder Gustav hießen? Dagegen Kometen,
Nebel, Galaxen. Oh, wir vergewissern uns!
Als wüßten wir, was Babylon war
wenn wir Babylon Babylon nennen.
Als wüßten wir nicht: Das meiste,
fast alles, wäre auch ohne uns da.
Hans Magnus Enzensberger, L’Histoire des nuages, 99 méditations, traduction de l’allemand de Frédéric Joly et Patrick Charbonneau, édition bilingue allemand/français, éditions Vagabondes 2017, 264p. 21,50€, pp24/25 et 184/185
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