Alberto Zedda (1028-2017) © ANSA
Le 13 novembre dernier, Alberto Zedda dirigeait Ermione de Rossini à l’Opéra de Lyon et deux jours après au Théâtre des Champs Elysées, ce furent ses dernières apparitions françaises. Je l’avais vu diriger l’an dernier Armida (celle de Rossini évidemment) à l’opéra de Gand. Un petit homme à l’œil pétillant et vif, affable, de cette bonhommie qui est celle de sa région d’adoption, les Marche, dont la ville de Pesaro qui l’a vu mourir est l’un des principaux centres. Milanais, il a étudié au conservatoire de la ville, et sa réputation vient de son travail de musicologue, indissolublement lié à Gioachino Rossini, bien qu’il ait aussi travaillé sur d’autres compositeurs. Comme musicologue, son nom est aussi attaché aux premières éditions critiques de Rossini, dont celle du Barbiere di Siviglia qu’Abbado dirigea le premier à la Scala en 1969. A son nom est souvent associé celui de l’américain Philip Gossett, mais ce dernier s’est éloigné de la fondation Rossini et de Ricordi pour travailler avec Bärenreiter.
Alberto Zedda a été consultant, puis directeur artistique du Festival de Pesaro jusqu’à 2015 : il éditait les partitions et souvent ensuite les dirigeait à Pesaro. Il a été aussi consultant de divers centres de perfectionnement pour jeunes chanteurs, notamment à Valencia (Espagne), et dirigeait un peu partout Rossini, et notamment ce Rossini qu’on connaît moins, le Rossini serio.
Pesaro, c’était le lieu de sa seconde naissance, le lieu qu’il a pu suivre depuis sa création, un lieu original en Italie, qui n’a pas son équivalent dans le monde ; on l’appelle de Bayreuth rossinien parce qu’à Pesaro on joue exclusivement Rossini, comme à Bayreuth Wagner. Mais il y a une chaîne « du producteur au consommateur » à Pesaro qui n’existe pas à Bayreuth. Le projet de Pesaro est lié d’abord au travail critique et philologique effectué par la Fondation Rossini en lien avec l’éditeur Ricordi, qui a suscité ensuite le Festival en 1980 pour la représentation des œuvres qu’on venait d’éditer, mais en même temps le projet pédagogique du Festival, en étroit lien avec le territoire des Marche (Conservatoires, Universités, et notamment Urbino voisine) et surtout l’Accademia Rossiniana, cycle de formation annuel de jeunes chanteurs au style et à la dramaturgie rossiniennes où nombre de vedettes d’aujourd’hui se sont fait les dents et la voix. Alberto Zedda en était le directeur depuis sa création en 1981. C’était un pédagogue du chant, un spécialiste de l’ornementation rossinienne qui savait travailler avec les jeunes. D’une grande gentillesse, mais aussi d’une grande exigence, il avait su donner à Pesaro (Fondation, Accademia, Festival) cette réputation de rigueur et de cohérence qui en a assuré et la gloire et la pérennité.
Plus discuté par la critique comme chef d’orchestre, personne ne lui discutait en revanche la connaissance profonde des partitions, mais il a su travailler très tôt avec Claudio Abbado qui a assuré la direction et la diffusion des grands opéras bouffes de Rossini de 1969 à 1990 environ, tous (Barbiere, Cenerentola, Italiana in Algeri, Viaggio a Reims) dirigés par Abbado dans les éditions critiques de Pesaro, qui avait su trouver à la fois le son, le rythme, le sens théâtral si juste que ces références-là restent indiscutées. Le travail philologique était ainsi prolongé à la scène (avant même la naissance du Rossini Opera Festival) par celui d’Abbado qui faisait sonner comme personne la musique authentique retrouvée par Zedda.
Les théâtres faisaient souvent appel à Alberto Zedda, et notamment dans le Rossini serio moins joué et moins connu car il restait un gage d’authenticité rossinienne, notamment dans la préparation des musiciens et des équipes de chanteurs, et qu’il était l’un des seuls, sinon le seul, à posséder tout le répertoire rossinien resté rare dans les théâtres, même en Italie. Sa disponibilité et son sens de la pédagogie faisaient le reste.
Le pilier de Pesaro disparaît, à 89 ans, une figure essentielle, presque déjà légendaire de son vivant. Mais c’est aussi sans doute le pilier premier : telle qu’est conçue la politique du Festival, je n’ai pas de doute qu’on saura trouver ceux qui continueront le grand-œuvre. Si Rossini était le cygne de Pesaro, Alberto Zedda a travaillé le chant du cygne sa vie durant.
« Locandina » du Teatro alla Scala du Barbiere di Siviglia dans la mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle et dans l’édition d’Alberto Zedda (1969), encore aujourd’hui au répertoire de ce théâtre