En exergue du premier roman de l’Américaine Julia Pierpont,
un poème de Galway Kinnell, peu traduit en français mais lauréat des plus
importantes récompenses littéraires aux Etats-Unis, fournit non seulement le
titre, Parmi les dix milliers de choses,
mais aussi une clé de lecture : « l’amour
est le salaire de la mort ». Une autre clé, dans le texte, inscrit
cette quantité de choses dans le réservoir inépuisable de la vie, où Jack puise
les idées de son œuvre de sculpteur. Il faut faire avec ces deux clés, qui
n’excluent pas les autres.
Car, s’il raconte une histoire simple, l’ouvrage foisonne de
thèmes secondaires qui amplifient et nuancent le propos principal. Celui-ci
tient en quelques mots : un couple, Jack et Deb, se défait sous le regard
de leurs deux enfants, Simon et Kay, après la révélation de l’infidélité de
Jack.
La rupture est le sujet de dizaines de milliers de livres.
Comment lui rendre le caractère inédit auquel parvient Julia Pierpont ? En
creusant les personnages et leurs contradictions intimes, en proposant la
vision de chacun sur ce qui arrive, en rompant avec la chronologie aussi
puisqu’un épisode postérieur à tout le reste est révélé avant le milieu du
roman. « La fin n’est jamais une
surprise. » A qui bon en effet tenter de jouer sur les rebondissements
quand ceux-ci ne sont qu’anecdotes sur une ligne du temps irréversible ?
En revanche, les approfondissements de certains instants,
fixant l’attention sur ceux-ci dans un tempo plus lent, permettent de donner
une épaisseur plus grande aux sentiments des protagonistes.
On retiendra longtemps la visite impromptue de Jack à sa mère
et au compagnon de celui-ci, prêcheur de la bonne parole, pour un bref séjour
pendant lequel l’incompréhension mutuelle, que Jack espérait vaguement pouvoir
lever, devient insoluble. Ou la manière dont Simon, grand adolescent, découvre
le plaisir auprès d’une jeune fille, avec une certaine confusion entre amour et
désir. Ou encore comment Kay exorcise, sans y comprendre grand-chose, les mots
lus sur les messages de son père à sa maîtresse en écrivant des textes
érotiques qui choquent autour d’elle. Et tant d’autres scènes puissantes,
savourées dans la précision de leur évocation…
L’aventure intime est vécue quatre fois en simultané et
perçue de manière différente par chacun. De cette complexité, Julia Pierpont a
fait un parcours où les blessures, sous une lumière rasante toujours près de
s’éteindre, sont à vif.