Il faut passer la porte, traverser un peu la Cour de Venise, et descendre les quelques marches, pour se laisser séduire par les tons délicats des sublimes tirages de Joel Meyerowitz.
La galerie Polka a choisi de mettre à l’honneur cet hiver, deux facettes du travail de ce grand photographe américain : la première aborde son travail du début des années 1960 au milieu des années 1970. Le propos est majoritairement de la “streetphotography”, des scènes prises sur le vif, dans la rue qui devient son espace d’expression privilégié. De sa rencontre avec Robert Franck à 25 ans, il retient la grande liberté du directeur artistique. Fasciné il dit “Je ne savais pas qu’on pouvait bouger à ce point et photographier en même temps.”
New York City, 1963
Ainsi en décembre la galerie présentait une sélection de travaux où il captait sur le vif l’atmosphère fourmillante de New York. Dans le second volet, on découvre son exploration des paysages renouvelés par la lumière du crépuscule, qui révèle la couleur.
Florida, 1967
On se situe à la fin des années 1960, si Joel Meyerowitz explique simplement “Mon premier appareil photo, prêté par mon patron, je l’ai chargé avec une pellicule couleur, sans penser une seule seconde qu’il pu y avoir une autre alternative…” son travail des tonalités délicates est très subtil.
Alors qu’il passe ses vacances à Cape Cod en 1976, il essaie pour la première fois une chambre photographique grand format, une Deardorff 8×10. L’importance du grand format renouvelle le regard de l’artiste habitué habitué au 35 mn. Loin de l’univers fourmillant de New York, les paysages lisses, souvent immobiles, tranchent. L’attention se concentre ailleurs. Le regard par la technique change naturellement. Explorant les possibilités du médium, il déclare alors “l’action n’est plus au cœur, elle devient presque accessoire. Mon image a d’autres ambitions”. Sa démarche se précise et il choisit d’assumer complètement le domaine de la couleur, appréciant les nuances et les contrastes.
Bay / Sky, Dawn / Hard Line, Provincetown, Massachusetts, 1984
Ses images contemplatives semblent échapper au temps et sont présentées deux ans plus tard dans l’ouvrage Cape Lights, succès indiscutable, vendu à plus de 150 000 exemplaires. Pour Joel Meyerowitz, la couleur a toujours été une conviction profonde. Bien que son usage à l’époque, ne soit plus souvent cantonné à la publicité ou à la photo amateur – le noir et blanc étant plus apparentée à un art véritable – pour l’artiste, il s’agit d’un moyen de montrer le monde tel qu’il est. Il déclare ainsi “On manquerait tellement de choses avec ces paysages en noir et blanc, on passerait à côté des nuances roses, fumées, mordorées… Nous sommes des créatures composées de couleurs fantastiques : celle de notre peau, les tâches de rousseur, les vêtements que l’on porte, la lumière du ciel. Celles de Cape Cod sont si particulières sur le globe.”
Pendant ses vacances en effet il semble découvrir un nuancier particulier. En quelques mois il saisit les modifications chromatiques qu’il décrit décrite ces termes “C’était une véritable exploration sur comment la lumière et ses couleurs nous font ressentir les choses. (…) Les êtres humains sont faits de sensations et la couleur en fait partie”. Alors qu’il est en famille, il emporte et expérimente sa chambre photographique partout comme si c’était un appareil banal pour ne rien risquer de manquer.
Heidi, Provincetown, Massachusetts, 1981
Dans le portrait improvisé qu’il fait de Heidi, il raconte la scène en ces termes. La jeune fille de 16 ans époussetait le sable de ses bras après avoir fait des roues. Il lui demande s’il est possible de faire son portrait, spontanément. “Le geste est vraiment le sien. Je ne demande jamais à personne de prendre des poses : il faut accepter le cadeau que le monde peut offrir. C’est ça la photographie. La jeune fille est dans la fleur de la vie, regardez comme elle est une créature magnifique, remarquez ses ongles roses sur le fond vert bleu, il électrise. Je pars toujours des vraies couleurs car sinon on peut tout inventer. (…) Je veux me baser sur la perception. C’est très important. La photo procède de la perception du photographe. Cela doit être réel. Et je veux que la réalité soit particulièrement incroyable.”
The Elements: Air / Water
Les nuances dans l’oeil du photographe nous amènent à examiner chacun des tirages exposés avec une grande attention. On esquisse un sourire en voyant les plongeurs sur les podiums s’apprêtant à l’élancer dans l’eau, l’image renouvelée à la lecture de son titre “la colonne blanche”, ou la palette de ses scènes au crépuscule.
Red Interior, Provincetown,Massachusetts, 1977
Ce sont ces images précisément qui m’ont interpellée plus encore que les autres. Joel Meyerowitz en parle comme d’un moment fugace et privilégié où l’ensemble du monde bascule vers l’inconnu, se transfigure. Il saisit ainsi des objets ou des scènes alors qu’elles se réinventent à la nuit tombée. Pour exemple, cette image du bâtiment de bord de route en lames de bois (ici en image d’entrée sur l’article). D’une construction banale, elle devient prétexte et support à la rencontre des tonalités particulières : le ciel du crépuscule rencontre les lueurs des lumières d’enseignes qui s’allument. La poésie de ce moment est touchante. Le photographe en parle en ces termes “Mais à l’heure où le soleil descend dans le fond et que le bleu du ciel change pour un bleu lavande, que les nuages deviennent roses et dorés – il est à peu près 8 heures du soir en été, juste avant la tombée de la nuit –, avec ces lumières, le bâtiment devient soudainement magique. Je rentrais de la plage… (…) ce bâtiment est affreux, mais il est transformé dans ce moment magnifique. Je l’ai vu. Et cela m’a renversé. J’en ai eu le souffle coupé.” On reste ainsi contemplatifs, inspirés devant la beauté de ces instants saisis, appréciant chaque nuance, aussi finement rendues dans ces tirages admirables.
A voir :
Taking My Time II, Joel Meyerowitz à la Polka Galerie(exposition terminée)12 rue Saint Gilles75003 Paris
Note : propos de l’artiste recueillis par Libération dans l’article ici