" - Russ? Pourquoi est-ce qu'on n'aurait pas - pas tout de suite mais bientôt - enfin, un enfant , quoi ?
Elle attendait depuis une heure le moment de dire ça et voilà que l'ayant finalement bredouillé au dessert, ne recevant aucune réponse immédiate de Russell, elle se demandait si elle ne s'était pas, une fois de plus, imaginé seulement qu'elle le disait. Il était plongé dans l'examen de l'étiquette du vin et elle n'était, même pas sûre qu'il l'écoutât. Il finit par lever les yeux sur elle.
- Ce n'est pas parce que Tom et Casey vont avoir un enfant...
- Ça n'a rien à voir avec Tom et Casey.
- Ils peuvent se le permettre, ils en ont les moyens.
- Tu crois qu'il n'y a que les riches, qui ont des enfants ?
- Où on le mettrait ?
- Dans un carton à côté de nôtre lit. J'en sais rien. Quelle importance ? Pourquoi faut-il que tu déconnes toujours quand je parle de ça ? Tu te lances immédiatement dans des considérations secondaires qui n'ont rien à voir. Croirais-tu qu'il existe d'autres appartements que le nôtre, à New York - des appartements plus grands, par exemple ?
- Avec des loyers plus chers.
- On pourrait en trouver un avec une chambre de plus dans un immeuble moins chic. Tu n'arrêtes pas de dire que tu voudrais vivre plus bas, dans Manhattan, on peut chercher dans ce coin là. Trouver un loft, peut-être.
- J'ai horreur des lofts.
- Ce que tu peux être...
- Tu sais ce que je gagne. Sans ton salaire et avec une bouche de plus...
- Et alors ? On se passera de certaines choses. C'est une question de priorité. Je croyais que tu voulais des enfants.
- J'en veux. Simplement, pas... pas tout de suite.
- Quand, avec ta deuxième femme ?
Corinne parut plus remuée que Russell par ce qu'elle avait dit. En la regardant, il vit ce qui se passait dans son esprit, déjà ses paroles prenaient chair dans son imagination - leur mariage s'y défaisait, elle y vivait les nuits solitaires de la divorcée.
Il lui saisit les deux mains et la secoua pour la faire sortir de sa rêverie.
- Écoute, donne moi simplement le temps d'y réfléchir un petit peu, d'accord ? Peut-être que je vais aller parler à Kleinfeld de cette augmentation.
- Je deviens vieille, tu sais, dit-elle d'un air lugubre.
- Il te reste quand même un an ou deux avant qu'on doive t'abattre..."
Jay McInerney, extrait de " Trente ans et des poussières" L'Olivier, 1993