J’ai trouvé ces trois poèmes dans le très beau recueil Vie d’un homme (poésies 1914-1970) qui est un choix anthologique des poèmes de Giuseppe Ungaretti (1888-1970) paru chez Poésie-Gallimard.
J’ai choisi trois poèmes qui datent de l’année 1916 et qui me paraissent particulièrement émouvants.
Ils ont été traduits de l’italien par Jean Lescure.
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JE SUIS UNE CREATURE
Comme cette pierre
du Saint Michel
aussi froides
aussi dures
aussi sèches
aussi réfractaires
aussi totalement
inanimées
Comme cette pierre
sont les larmes
qui ne se voient pas
La mort
s’escompte
en vivant
Valloncello di Cima Quattro, 5 août 1916
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DANS LE DEMI-SOMMEIL
Je veille la nuit violentée
L’air est criblé
comme une dentelle
par les coups de fusil
des hommes
renfoncés
dans les tranchées
comme les escargots dans leur coquille
Il me semble
qu’une ahanante
tourbe de cantonniers
pilonne le pavé
de pierre de lave
de mes routes
et je l’écoute
sans voir
dans le demi-sommeil.
Valloncello di Cima Quattro, 6 août 1916
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SAN MARTINO DEL CARSO
De ces maisons
il n’est resté
que quelques
moignons de murs
De tant d’hommes
selon mon cœur
il n’est pas même
autant resté
Mais dans le cœur
aucune croix ne manque
C’est mon cœur
le pays le plus ravagé
Valloncello dell’albero isolato, 27 août 1916
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