Femmes hors-normes, de Barbara Polla

Publié le 07 mars 2017 par Francisrichard @francisrichard

Être "hors normes"? Il ne s'agit pas d'être "hors la loi". L'autonormie est une attitude individuelle, discrète, voire invisible: il s'agit avant tout de résister et de se soustraire au pouvoir insidieux de l'entourage normatif moral, familial, social, religieux, économique, médiatique ou autre. Il s'agit d'être soi.

Autonormie bien ordonnée commence par soi-même. Et Barbara Polla, dans Femmes hors normes, ne recommande pas aux autres femmes de faire ce qu'elle dit mais de faire ce qu'elle fait, de vivre son concept comme elle le vit, ce qui lui permet d'être bien avec elle-même, d'être bien dans la vie. L'autonormie, c'est se donner à soi-même ses propres normes, ses normes naturelles.

Quand Barbara Polla s'en prend à la société, à la religion ou au capitalisme, ce n'est pas à la manière soixante-huitarde, c'est au pouvoir normatif qu'ils exercent sur la vie personnelle des femmes et des hommes qu'elle s'en prend. Son anarchie revendiquée ne signifie donc pas chaos, mais absence de pouvoir (normatif) sur les femmes et sur les hommes.

En lieu et place de ce pouvoir normatif, elle met les devoirs, les devoirs réciproques, entre parents et enfants, entre citoyens et politiciens. Car l'autonormie n'est pas l'autonomie: ce concept n'est pas se donner ses propres lois; l'autonormie n'est pas non plus l'anormie: ce concept n'est pas absence de normes.

L'absence de pouvoir normatif, qui impose un cadre dont il faut sortir pour inventer le sien, ne conduit pas au chaos:

La possibilité d'autonormie pour chacun de nous renforce la société plus qu'il ne la déstabilise: des individus en accord avec eux-mêmes, proches d'eux-mêmes, créent une société empathique et forte, chaque individu étant, du fait même de son "autonormie", mieux préparé à respecter celle de l'autre - des autres.

Barbara Polla parle d'individuation, qui est, pour elle, tout le contraire de l'individualisme. La véritable réussite personnelle est justement celle de l'individuation: Être soi, unique et irremplaçable, au sein de la société. Pour y parvenir il faut faire un pas de côté - et non une ascension - pour se rapprocher de soi. Et ce pas de côté montre bien que la hiérarchie hors normes est une hiérarchie horizontale et que la hiérarchie de soi a pour vocation d'abolir toutes les autres.

Le premier pas de côté fait, celui qui compte et qui répond à une nécessité intérieure, est par la force des choses suivi de beaucoup d'autres: il ne s'agit pas d'être meilleur que les autres; il s'agit d'être au mieux de soi-même, et, si possible, meilleur que soi-même - meilleur que nous étions hier. Meilleur pour les autres. Être en accord avec soi prépare en effet à aimer l'autre. 

L'ordonnance d'être hors normes que Barbara Polla prescrit - elle est médecin - s'adresse en priorité aux femmes parce que le pouvoir normatif n'est pas le même pour les hommes que pour les femmes: il est incitatif pour eux, prohibitif pour elles. Avec son concept d'autonormie, elle leur recommande donc de désobéir aux normes (dès le plus jeune âge), pour être elles-mêmes, être fidèles à ce qu'elles sont: la désobéissance est l'apprentissage d'être soi.

Être elles-mêmes, c'est, par exemple, pour les femmes, de pouvoir parler de plaisir sexuel, qui, dans certains pays, leur est refusé avec l'excision, sous des prétextes culturels fallacieux; de pouvoir en parler sans en faire pour autant une nouvelle norme, en sachant que chacune de nous vit son "hors normes", selon ses goûts, à sa manière, dans le secret de l'alcôve.

Barbara Polla parle, dans son livre, de beaucoup de sujets en rapport avec son concept, notamment:

- la solitude heureuse: comment s'entendre avec les autres, si l'on n'a pas appris, d'abord, à s'entendre avec soi-même

- le secret, essentiel pour l'amour: en parler publiquement, le montrer, voire l'étaler, en faire une affaire sociale plus qu'intime, le met en grand péril

- l'intimité: il s'agit d'entrer en nous pour y trouver le monde

- le genre: être soi, c'est aussi l'être en son corps et avec un sexe donné, mais en refusant qu'il devienne un label.

- l'impossibilité de posséder l'autre et la liberté: les deux fils rouges de tous ses ouvrages.

Pour bien montrer que ce concept n'est pas seulement un rêve, mais une réalité, elle donne les exemples de femmes du passé et du présent, de femmes de sa famille, et d'elle-même. Tous ces exemples ont en commun que la sortie d'un cadre pour entrer dans un autre se traduit par l'apparition en pleine lumière de l'inquiétante étrangeté de l'être et par la transformation en énergie d'une peur (il faut apprendre à résister à la critique et avoir le courage de désirer être soi):

A la réitérer souvent, en effet la sortie du cadre devient un exercice aussi vitalisant que la marche rapide; et comme pour tout type d'exercice, plus on le pratique, plus il devient valorisant. Plus on sort du cadre, et plus l'énergie nous prend et nous emmène.

Barbara Polla a plus de 60 ans. Elle continue à résister, à se mettre hors normes, c'est-à-dire à faire mentir définitivement l'adage qui veut que vieillir est une défaite de soi, pour en faire une construction, toujours en voie d'amélioration. Bref elle met plus que jamais son concept en application et cela lui réussit. Ceux qui la connaissent se demandaient quel pouvait bien être son truc le plus important pour être heureuse. Maintenant ils le savent: c'est l'AUTONORMIE.

Francis Richard

Femmes hors normes, Barbara Polla, 240 pages Odile Jacob (parution le 8 mars 2017)

Livres précédents de l'auteur:

Victoire, L'Age d'Homme (2009)

Tout à fait femme, Odile Jacob (2012)

Tout à fait homme, Odile Jacob (2014)

Troisième vie, Editions Eclectica (2015)

Vingt-cinq os plus l'astragale Art & Fiction (2016)

Collectifs sous sa direction ou sa coordination:

Noir clair dans tout l'univers, La Muette - Le Bord de l'Eau (2012)

L'ennemi public, La Muette (2013)

Éloge de l'érection La Muette (2016)