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Chronique dermatologique : l’éruption

Par Claude Le Goff

C’est l’hiver dans ma tête et le printemps sur mon corps, jusqu’à ce qu’il fasse moins quarante encore. Montréal est bipolaire. Sur ma peau, des fleurs poussent et se décomposent. L’ambivalence météorologique me craque. C’est quand il fait froid que je suis consciente des plaques qui se logent sous ma peau. Qu’une main ne pourra jamais parcourir mon corps sans y trouver de reliefs.

J’ai rêvé hier soir que j’avais la peau lisse comme les fesses d’un nouveau-né, alors que je me suis endormie en pleurant de douleur à cause de mon psoriasis. Je me suis réveillée la tête dans un océan de poussières de peaux mortes sur ma taie d’oreiller.

J’aurais voulu naître dans une autre peau.

Au primaire, les autres enfants disaient qu’ils allaient attraper ma maladie s’ils me touchaient. Je me souviens du regard des filles de ma classe qui me scrutait de haut en bas. Au secondaire, je portais des vêtements longs et je fuyais toute forme d’intimité. J’ai peur de me mettre à nue depuis toujours.

Je passe encore mes hivers enfouie sous des couches de vêtements et cachée dans des cols roulés. Je garde mes cheveux longs, je mets des tuques et je coupe mon toupet au carré. J’évite de fréquenter quelqu’un, de peur d’enlever mon chandail. J’ai même raté des cours tellement j’avais peur du regard des autres sur ma nuque.

Quand il fait gris et froid, ma peau veut fendre et je veux fendre en deux. En chien de fusil dans mon lit, j’arrête de bouger pour ne plus avoir mal. Je flatte mes plaques d’une main et j’essaie de m’endormir. Je repense à toutes les fois où tu imaginais des formes sur mon corps, comme on le fait avec les nuages.

Je voulais que tu traces une constellation dans mon dos pour relier ensemble toutes mes rougeurs. Que tu les encercles comme pour dire tu es là et je t’aime quand même. Je voulais que, du bout des doigts, tu me soignes de moi, de ma haine de moi. Je voulais que tu m’aimes assez pour nous deux.

De ton corps, j’ai fait une obsession. J’ai passé ma main partout sur toi, j’ai touché ta soie, ton soi. J’ai rêvé de me couvrir de toute ta peau. Je t’ai porté en cuiller pour faire semblant d’être douce et sans failles.

J’ai apprivoisé la nudité dans ton lit pour m’épidermer dans tes bras, puis me rhabiller de toi.

Couchée avec toi après l’amour, mon premier réflexe est de couvrir ma peau d’un drap. Tu dis de ne pas me cacher, que tu aimes me regarder. Je me demande comment ça peut être vrai, parce que je déteste me regarder toute-nue. J’évite le miroir de la salle de bain quand je sors de la douche.

Nous sommes sur l’eau en bateau. Je porte un chandail que j’enlève juste au moment de sauter dans le bleu du lac. Quand je sors, tremblante, c’est parce que l’eau est froide, et aussi, parce que j’ai peur du regard de ton ami sur moi. Je m’abrille d’une serviette. Quand le soleil mord ma peau, je la laisse tomber par accident.

Lorsque tu es parti à la fin de l’été, j’ai porté les marques du désamour dans mon cou comme un collier. Je ne l’aurais pas échangé pour un autre, ce collier. Il était la preuve de notre brève existence, qu’on avait été vrais, même si tu disais que ce n’était pas vraiment ça, de l’amour, que tu ne m’avais jamais vraiment aimée, au fond.

Chaque soir, je mets de l’huile de coco partout sur moi pour faire semblant que c’est l’été encore.

© Mirela 23, Cesar Biojo, 2014



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