Le propos est incroyable et la caution de véracité de l’histoire entérine toute critique du scénario. En effet, l’histoire de Saroo est une histoire vraie. Une quête d’identité qui charrie un passé dans un petit village sur les terres arides de Khandwa, un abandon accidentel et une enfance d’errance et de fuite, et les difficultés de l’adoption de deux enfants. Pour cela, le film se construit en deux parties : la première situe l’intrigue dans le village de Ganesh Talai aux alentours de Khandwa, où rapidement Garth Davis présente le quotidien du petit garçon. Puis en Australie, dans la famille d’adoption de Saroo.
Avec réalisme et sans détours polis pour le regard occidental, il dépeint l’inde et la vie dans les villages, où le dénuement et la misère sont encore différents de ce que cela peut être dans les villes et les grandes villes. Ici les femmes font les travaux pénibles et physiques dans les carrières improvisées, la vie est faite de petit troc et de vols de matériaux à revendre, mettant l’accent sur les seuls choses non matérielles que l’on peut posséder. Ici c’est l’occasion de voir s’exprimer l’amour familial et plus encore l’attachement fraternel qui est abordé avec justesse et sans lourdeur, jusqu’à l’événement terrible où le jeune Saroo se retrouve perdu à bord d’un train, qui lui fait traverser une bonne partie du pays, pour le conduire à Calcutta, à 1400 km de chez lui. Pour bien prendre la mesure des choses, il faut comprendre que l’Inde fait 5 fois la France, et qu’il existe 22 langues (et quelques 800 dialectes). Dans cette première partie, Garth Davis reste à la hauteur du regard du petit garçon, intensifiant l’angoisse lorsqu’il s’aperçoit qu’il est à bord d’un train de marchandises, impuissant. Mais aussi quand après cet événement, il se noie dans la foule de Calcutta, capitale du Bengale, où le petit garçon répète phonétiquement le nom de son village comme sa seule planche de salut, tandis que la foule bengali ne comprend pas ce qu’il veut dire. D’errances en fuites, Saroo échappe à plusieurs situations atroces (trafic d’enfants, pédophilie…) suggérées, laissées dans le flou, en restant du point de vue du petit garçon.
Saroo connaît la valeur de la vie, la misère et il perçoit comme une chance l’amour de ses parents adoptifs et les conditions de vie qu’ils lui proposent. Si le visage adorable de Sunny Pawar porte la première partie du film, celui de Dev Patel prend le relais de manière efficace. On regrette pourtant certaines longueurs et lacune du scénario. La madeleine de Proust de Saroo devenu adulte est une confiserie sucrée dont il rêvait étant enfant. Pourtant le retour des souvenirs refoulés manque de subtilité, et l’on regrette que le réalisateur n’ait pas mis davantage l’accent dessus. L’utilisation de Google Maps/ Earth pour retrouver son village, est également un pari fou et diaboliquement long. Ici encore le film échoue à montrer l’ampleur de la tâche, le caractère extrêmement fastidieux de l’exploration, l’issue inespérée. Pourtant, tous les plans en plongée, magnifiques, préfigurent cette quête interminable, où Saroo “drag&drop” la map sous son curseur. Mais on ne croit pas une seconde à la manière dont la recherche aboutit, ni même aux retrouvailles en Inde, à peine esquissées.Il est compliqué alors d’extirper le film qui s’embourbe légèrement dans des travers connus : le mélo facile aux relents désagréables de télé-réalité ou la publicité un peu geek… Une maladresse de plus, le visage de Guddu le vrai frère de Saroo qui le hante, qui se superposant à son frère adoptif, lui aussi indien adopté, rebelle qui continue à en faire baver sa famille même à l’âge adulte.
Garth Davis esquisse ainsi des aspects intéressants sans les développer davantage. Le parallèle entre les deux enfants adoptés : celui qui veut vivre, plus que survivre ; et celui qui, déraciné fait preuve d’un mal de vivre cuisant. Là où Saroo adulte réussi à convaincre c’est dans l’amour et la reconnaissance immense qu’il porte à ses parents adoptifs et à la question de l’identité occidentale et de ses origines indiennes. Il se sent plus occidental que indien, aussi bien lors d’un déjeuner d’expat que dans son village d’enfance à la fin du film.
Dommage que le potentiel d’une telle histoire, n’ait pas été aidée davantage par le réalisateur, parce qu’en plus du scénario il disposait de très beaux acteurs qui parviennent tout de même à porter le propos.
A voir :
Lion de Garth Davis (1h58)