Des échos de l'enfer
5 mars 2017 par carmenrob
Les polars sont souvent des histoires de bons et de méchants. De bons qui viennent à bout des méchants. Dans ce roman, il n'y a que des pires et des "moins pires". Personne n'a les mains blanches dans l'univers glauque de R.J Ellory. Un cœur sombre, celui de Vincent Madigan, inspecteur au 167 ° commissariat de East Harlem, nous projette dès les premières lignes dans un drame haletant qui ne nous laissera aucun instant de répit jusqu'à la conclusion.
Vraiment, ce Madigan n'a rien pour inspirer la sympathie. Pourtant, on n'arrive pas à le détester. Par un habile procédé narratif faisant alterner les chapitres écrits au "il" et ceux au "je", l'auteur sait nous faire partager les sentiments et les émotions extrêmes qui minent Madigan : peur intense et omniprésente des conséquences de ses actes, culpabilité et honte dévorantes de ce qu'il est devenu comme policier, comme homme, incompréhension des causes de son dérapage, désir fugitif de se reprendre en main, de régler la situation et de disparaître, de recommencer à zéro, mais aussi cynisme et incapacité à assumer ses responsabilités.
Des choses se produisent. Pour la plupart mauvaises. Trop pour s'en souvenir. Vous oubliez les détails, évidemment. Les détails sont sans importance jusqu'à ce qu'ils en prennent, et alors ils deviennent vitaux. Une question de vie ou de mort. Le fait qu'on en soit là où on en est ne peut jamais être attribué à une seule chose. La destination ne dépend jamais d'une seule facette du voyage, et si on parle de la vie, la destination qu'on avait prévue n'est de toute manière jamais celle où on arrive. Et ce n'est jamais une seule chose qui nous fait perdre le contrôle, qui fait que notre vie nous échappe. S'il n'y avait qu'une seule raison, alors peut-être qu'on pourrait revenir en arrière et tout réparer. C'est ce qu'on se dit sans cesse. [...] Et pendant un moment on peut se torturer l'esprit à se demander comment revenir en arrière et tout réparer.Malgré tous ses méfaits et ses crimes, il a gardé une part d'humanité à laquelle il essaie de se raccrocher tout en se jugeant à peine moins mauvais que Sadià, véritable psychopathe. À sa façon, avec les seules armes qu'il connaît, il tentera de se racheter.
Rarement ai-je lu une histoire aussi intense. Dès les premières lignes, notre pouls s'accélère et n'a pas plus de repos que celui du policier dont chacun des pas surplombe le précipice. La seule façon de reprendre notre souffle est de fermer un moment le livre pour faire autre chose. Je connaissais la réputation d'Ellory comme maître du polar. J'ai goûté à sa médecine. Et j'en redemanderai.
R.J. Ellory, Un cœur sombre, Sonatine Éditions, 2016 (pour la traduction française), 377 pages