Décédée à 93 ans, Paula Fox a marqué les lettres américaines davantage sans doute que le pensent la plupart des lecteurs francophones. On s'en persuadera, malheureusement un peu tard pour beaucoup, en revenant sur quelques-uns de ses livres. (Les dates ne sont pas nécessairement celles des premières éditions en français, et les couvertures sont celles des éditions les plus récentes.)
Pauvre Georges ! (2006, traduit par Rémi Lambrecht)
Le dieu des cauchemars (2006, traduit par Marie-Hélène Dumas)
Il y a chez Paula Fox, née en 1923, un art presque effrayant
du dialogue tant il est habile. Ses personnages s’offrent pleinement à nous à
travers ce qu’ils disent. Et comment ils le disent. Aucun besoin complémentaire
d’explication psychologique. Le lecteur est de plain-pied avec George Mecklin
ou Helen Bynum dans les deux romans dont il est question ici.
Le premier était, selon toute apparence, inédit en français. [En écrivant cela à l'époque, je faisais erreur.] Il est aussi le premier roman de Paula Fox. Pauvre Georges ! est
l’histoire d’un enseignant dépassé par les événements qu’il a lui-même
provoqués. En partie au moins. Très vite les choses lui échappent. Et c’est
dans cette dérive des conséquences que la romancière se montre la
meilleure : tous les fils du récit sont là. Lâches mais tenus d’une main.
Il en va de même dans Le dieu des cauchemars où une
jeune femme découvre, avec sa tante, des manières de vivre dont elle ne savait
pas qu’elles pouvaient exister. C’est une libération. Et l’entrée dans un
univers plein de pièges inconnus. Ici aussi, Paula Fox fait merveille. Les
personnages secondaires possèdent un relief inouï.
C’est donc bien une grande romancière, saluée par les plus grands parmi
ses pairs, qu’on peut ainsi découvrir ou redécouvrir, sans modération.
Côte Ouest (2007, traduit par Marie-Hélène Dumas)
Toute l’œuvre romanesque de
Paula Fox est imprégnée de son passé. Dans La
légende d’une servante, qui vient d’être réédité en poche, elle
recréait l’atmosphère cubaine de ses souvenirs d’enfance. Côte Ouest, enfin traduit trente-cinq ans après son édition
originale, fait d’Annie Gianfala le double de l’auteur dans son époque
hollywoodienne.
Les paillettes de la capitale
du cinéma ne sont pas absentes du livre, mais Annie ne les voit pas tous les
jours. Arrivée à dix-sept ans pour retrouver son premier amour, qu’elle épouse,
elle mène une existence très en marge des studios. Son quotidien est d’abord
fait de petits boulots éreintants et mal payés. Sa santé n’est pas bonne. La
relation avec son mari, non plus.
Au lieu d’une fée qui se
penche sur son destin, quelques hommes s’intéressent à elle. Elle est jeune et
jolie, un argument qui en vaut bien d’autres. Et l’époque se prête à une
formation intellectuelle accélérée. Le Parti communiste américain est constitué
de militants et d’intellectuels qui ne sont pas de bois. Les bruits de guerre,
venus d’Europe, imposent une nouvelle lecture de l’équilibre du monde. Les
scénaristes qui traînent dans les lieux les plus improbables sont parfois
d’excellents passeurs de la littérature.
Sur ce terreau hétéroclite,
Annie apprend à se construire une personnalité, à séduire, à devenir
indispensable. Elle joue de ce qu’elle devient, comme un enfant teste son
pouvoir face aux adultes. Procédant par essais et erreurs, elle trace un chemin
qui, en cinq ans, lui donne une expérience suffisante pour, ensuite, prendre
son envol. Le poids immatériel de ce bagage intellectuel et moral est symbolisé
par ce qu’elle possède concrètement : elle voyageait très légèrement quand
elle est arrivée, il lui faudra plus d’une valise pour emporter ce qu’elle a
accumulé pendant ce temps…
Le personnage d’Annie, qui
semble un peu inconsistant au début du roman – il n’est d’ailleurs pas le
premier à apparaître –, prend de plus en plus de place dans le récit comme dans
l’esprit du lecteur, qui l’accompagne avec un plaisir croissant.
Paula
Fox n’est pas la romancière des grandes aventures. Elle ne cherche pas non plus
l’effet de surprise. Elle se contente (mais c’est déjà beaucoup) de suivre au
plus près son héroïne et de restituer ses émotions. La structure du récit n’est
rien d’autre que le fil des années passées sur la Côte Ouest par Annie. La ligne n’est pas droite, elle épouse
pourtant exactement des événements qui, sans peser sur l’histoire du monde,
font l’histoire d’une femme. Dont Frederick Busch, dans sa préface, fait ce
portrait lucide : « Vous
recouvrez son corps, levez les yeux vers son visage, et elle regarde au fond de
vous, elle vous comprend, et se comprend trop bien elle-même. » C’est
exactement ça.
Parure d’emprunt (2008, traduit par Marie-Hélène Dumas)
L’enfance et la jeunesse de
Paula Fox auraient pu faire l’objet d’un roman misérabiliste : la petite
fille délaissée par ses parents, détestée par sa mère, confiée aux uns, aux
autres, nomade en fonction de familles provisoires. Dans ses mémoires, pourtant,
l’écrivaine ne s’apitoie pas sur son sort. Elle trouve même d’excellents
moments, en particulier auprès d’Oncle Elwood, le pasteur qui s’est occupé
d’elle dans les premières années.
Elle retrouvera son père à
Hollywood, écrivain alcoolique et absent. Vivra à Cuba, à New York, en Floride,
dans le New Hampshire, à Montréal… Peut-être l’errance est-elle propice à la
maturation : Paula paraît plus adulte que les autres enfants de son âge.
La lecture y est pour quelque chose. Son parcours se fait aussi à travers les
romans qu’elle découvre avec passion.
Cette
formation désordonnée n’aura pas donné de mauvais résultats. Il y aura l’œuvre
littéraire, bien sûr. Ainsi que, au terme de ce volume, deux scènes, belles et
inattendues, de réconciliation.