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Hamlet au Japon

Par Balndorn
Hamlet au Japon
Washizu (Toshiro Mifune) et Miki (Minoru Chiaki) écoutent, après une bataille, la prophétie de leurs destins. La scène rappelle évidemment la scène des sorcières de Macbeth, lorsque Macbeth et Banquo écoutent les trois sorcières leur prédire leur avenir.  
Mais, chez Akira Kurosawa, le cadre a changé : deux samouraïs tiennent lieu de chevaliers écossais, et à la place des sorcières, un Esprit Malin (Chieko Naniwa) dérangeant à l’apparence de vieillard. 

Shakespeare nippon
Se borner à dire du Château de l’araignéequ’il reprend le scénario de la pièce de Shakespeare ne montre rien de la singularité du film de Kurosawa. Le cinéaste japonais ne se contente pas de transplanter dans le temps et l’espace le drame anglais : il l’adapte à une culture qui l’enrichit.  
Transplanté dans le Japon médiéval, le bois de Birnam, devenu la forêt de l’Araignée, révèle tout le fantastique latent dans la pièce de Shakespeare. Avec ses brumes opaques, ses rires terrifiants et ses formes indéfinies, la forêt de l’Araignée rend sensible la proximité, d’essence shintoïste, entre le monde des esprits et le monde des hommes, proximité qui est certes à l’origine étrangère au monde anglo-saxon mais qui dans le film souligne la perte de repères grandissante de Washizu/Macbeth.  
Le jeu des acteurs va dans le même sens. Moins psychologique que le théâtre européen, le jeu presque expressionniste des acteurs de Kurosawa, en particulier de Toshiro Mifune et d’Isuzu Yamada, interprète d’Asaji/Lady Macbeth, perturbe car il exhibe sur des visages déformés des terreurs inconscientes. Le regard affolé de Mifune, abattu par ses propres hommes lorsqu’il voit la forêt de l’Araignée monter à l’assaut du château, concentre l’angoisse d’un général à l’idée de sa chute, tandis que le visage impassible de Yamada et son sourire presque pervers font du personnage un masque kabuki expressif, qui présente à Washizu ses désirs inconscients qu’il n’ose s’avouer.    
En quête de la folie 
Si Kurosawa apporte ainsi des éléments étrangers à la pièce de Shakespeare, c’est pour en faire ressortir la folie inhérente. Mais dans Le Château de l’araignée, il n’est jamais question d’étude psychologique ou d’introspection : la folie ne s’aborde qu’en tant que force émotionnelle. C’est un cinéma de la surface que revendique Kurosawa.  
Cette surface se caractérise par sa grande mobilité. Outre les nombreux travellings, le cinéaste s’amuse à multiplier les transitions volets – idée qu’un certain George Lucas lui empruntera pour Star Wars –, qui révèlent l’écran en tant qu’écran dynamique. L’écran mobile et le visage-masque d’Asaji vont de paire : il faut faire apparaître sur une surface plane les mouvements souterrains de la psyché humaine.  
Le cadrage est donc particulièrement important dans le film, car il définit le point de manifestation de l’émotion incontrôlée. Un plan, magistral : Washizu se vante d’avoir été nommé commandant de la Citadelle du Nord sans avoir assassiné son suzerain, et sort du cadre, le visage fier ; mais lorsque sa femme, assise à même le sol, imperturbable, suggère que son suzerain ou son ami Miki le trahiront, Washizu revient dans le cadre, regard inquiet, bouche bée : le visage de même de la terreur.  
À l’instar de ce plan, Le Château de l’araignée s’appréhende comme un espace où les émotions se métamorphosent, et passent avec fracas du bonheur au malheur, de la gloire à la chute.  
                                            Hamlet au Japon   
Le Château de l’araignée, d’Akira Kurosawa, 1957
Maxime

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