R.Garaudy visite le Musée
Jaurès à Castres en 1959.
Jack photo
R.Garaudy à Athènes en mai 1965.
Conférence de presse
de la philosophie, prolonge et accomplit le mouvement fondamental de la philosophie moderne depuis Descartes et qui atteignit avec la critique de Kant à la pleine conscience de lui-même : l'homme ne peut comprendre que ce qu'il afait, Fichte aconduit à son terme ultime l'exigence primordiale du rationalisme moderne, en rejetant l'affirmation dogmatique d'un « donné » et en plaçant au point de départ de sa réflexion non pas un fait mais un acte. Ce qui permet essentiellement au marxisme d'échapper à tout dogmatisme c'est d'avoir, par un « renversement » et une démystification de la conception fichtéenne, donné une signification concrète, historique, matérialiste, au primat de la pratique. Les exigences du combat primordial pour l'émancipation sociale de l'homme ont conduit Marx à développer pleinement, dans ses oeuvres maîtresses : dans le Manifeste Communiste, dans le Capital, dans ses ouvrages historiques comme Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte, ce qui constitue son apport décisif : une méthodologie de l'initiative historique. Marx ne nous a pas légué un système de lois, mais l’art dialectique de les découvrir et de fonder sur leur connaissance notre action créatrice. L'oeuvre de Marx contient en germe les principes d'une exploration de l'homme dans toutes ses dimensions : pas seulement la dimension historique et militante à laquelle Marx a consacré l'essentiel de ses recherches, mais la dimension de la subjectivité et celle de la création (que la théologie désigne en général sous le nom de transcendance). Un champ immense est ouvert à la recherche marxiste, à l'âge de la victoire du socialisme, pour explorer toutes ces dimensions en « remettant sur leurs pieds » et en intégrant, chemin faisant, toutes les découvertes réalisées en ces domaines et en même temps mystifiées par les chercheurs non-marxistes. Le marxisme seul nous permet de saisir dans leur totalité les gigantesques métamorphoses de notre monde et de notre temps. Du point de vue scientifique, il fait éclater toute limite au libre déploiement de la recherche : son matérialisme exigeant, en nous imposant constamment la référence à une réalité extérieure à notre pensée, implique une attitude permanente d'ouverture et d'accueil, une incessante rupture avec la spéculation, le dogmatisme, les systèmes clos ; il rappelle à la dialectique qu'elle n'est pas seulement celle des concepts, mais celle d'une réalité inépuisable et mouvante que vise le concept au-delà de lui-même, une dialectique interminable, celle de la pratique et de la création humaine aux prises avec un monde à transformer. Du point de vue esthétique, il ouvre à la création esthétique une perspective illimitée en ne définissant pas l'art seulement comme un mode du connaître mais d'abord comme un mode du faire en ne définissant jamais le réalisme comme la copie des apparences du réel, mais comme la saisie de ses lois profondes de développement et la participation à la création d'une réalité en devenir et d'un homme en train de se faire. Du point de vue moral, il oppose à une éthique de la révélation ou de la tradition fondée sur des commandements éternels et un idéal immuable, comme aux sophistiques de l’individualisme et aux libertés confondues avec l'arbitraire et la gratuité, une conception historique de l'homme, élaborant, détruisant, intégrant et dépassant les normes de son action et ne se définissant lui-même que par le mouvement de cette création continue. Le marxisme n'est pas seulement une philosophie de notre temps. Il en est le sens.
Roger Garaudy, Karl Marx, pages 303 à 306