L’Afrique est traditionnellement en avance dans l’adoption du paiement mobile. Après le paiement par SMS, le QR code. Une technologie simple et éprouvée qui a été préférée à la technologie sans fil NFC.
Lancé en 2007 par l’opérateur Vodafone, le service de paiement mobile M-Pesa a connu un succès fulgurant au Kenya puis dans divers pays d’Afrique. Il est aujourd’hui aussi présent au Moyen-Orient et en Inde et compterait aujourd’hui 25 millions de clients actifs. Un simple envoi de SMS pour réaliser un paiement, sa solution s’est avérée parfaite pour des pays où les infrastructures bancaires sont encore notoirement insuffisantes. « L'Afrique a une forte appétence pour les paiements mobiles et on payait avec son mobile en Afrique bien avant de pouvoir le faire en France. Le succès de M-Pesa en témoigne » explique Laurent Nizri, fondateur et directeur associé d'Altéir Consulting
L’Afrique s’équipe en smartphones
Afin de rivaliser avec M-Pesa, Mastercard a entrepris le déploiement d’une alternative non pas basée sur des technologies sans-fil NFC ou le SMS, mais sur le bon vieux QR-code. Plutôt que de saisir dans un SMS le numéro de paiement du destinataire du paiement, il suffit à l’acheteur de scanner le QR code du marchand et valider le paiement sur son smartphone. Olivier Gabrielli, responsable digital de Mastercard en France explique pourquoi Mastercard a opté pour cette technologie à la fois plus évoluée que le SMS, mais plus simple que le NFC : "L'important à retenir, c'est la zone géographique concernée par l'offre Masterpass QR. Celle-ci est conçue afin de ne pas contraindre les marchands à acquérir un terminal de paiement. C'est la promesse associée à cette solution technologique."
Afin de contrer M-Pesa, Mastercard a déployé son offre Masterpass QR code au Nigéria, au Kenya, puis dans 33 pays de la zone Afrique/Moyen-Orient.
Le système a été introduit au Pakistan en août 2016, avant d’être déployé au Nigéria grâce à un accord avec Ecobank Group. Les deux partenaires ont alors fixé un plan de marche particulièrement ambitieux : déployer Masterpass QR dans 33 pays africains afin d’atteindre 100 millions de clients à l’horizon 2020. 100 000 micro-marchands nigérians seraient déjà utilisateurs de la solution mobile, tandis que le déploiement au Kenya, initié en février 2017, vise les 150 000 marchands dès cette année.
Selon les promoteurs du projet, le frein principal à ce projet, c'est-à-dire le taux d’équipement en smartphone de la population, est en train de tomber. Selon eux, le taux d’équipement de la région Afrique devrait croitre de 65% d’ici 2020 pour atteindre 467 millions de smartphones. "La pénétration du smartphone dans ces pays est de plus en plus forte et nous avons estimé que cette progression est plus rapide que celle des terminaux de paiements auprès des marchands" considère Olivier Gabrielli.
Pour Laurent Nizri, le QR code utilisé comme moyen de paiement n’a rien de révolutionnaire : "Les QR code existent depuis 20 ans et il y a encore beaucoup de solutions de paiement électronique à base de QR code en Europe. C’est le cas de l'application mobile Wa! de Carrefour et BNP Paribas, de Lydia, ou encore Fivory qui reposent notamment sur les QR code. Yoyo Wallet au Royaume-Uni a levé 15 millions de dollars avec un tel système." Certains systèmes mettent en œuvre des QR code dynamiques générés à chaque transaction, d’autres se contentent de QR code statiques attribués à chaque marchand, c'est cette option qui a été choisie par Mastercard.
Le QR code, un rapport coût / risque intéressant pour les pays émergeants
Une telle technologie peut sembler être rétrograde à l’heure où les smartphones modernes permettent de réaliser des transactions NFC, mais le QR code présente un rapport coût / risque intéressant pour de nombreux pays. « Même s'ils se déclarent agnostiques vis-à-vis des technologies, Visa et Mastercard poussent davantage les technologies NFC dans les pays matures » ajoute Laurent Nizri. « En Europe notamment, la sécurité du paiement est regardée avec un microscope. On cherche à améliorer des fractions de % de taux de fraude, ce qui signifie qu'il faut être très bon et dépenser beaucoup pour y parvenir. »
Le QR code est une technologie à la fois peu couteuse et simple à mettre en œuvre car elle ne nécessite pas d'infrastructure autre que le réseau mobile. Une solution idéale pour les pays en voie de développement.
En théorie, le NFC apporte un niveau de sécurité plus élevé que le QR code et en France, l’usage du QR code dans le paiement mobile est plutôt restreint aux applications de type "Closed Loop". Il est utilisé pour effectuer des paiements dans un restaurant universitaire, dans un hôpital, ou dans l’un des magasins d’une enseigne de la distribution. L'exemple le plus emblématique est sans doute celui de Starbuck’s qui introduisait le paiement par QR code dans sa solution de paiement dès 2008. Le risque de fraude est faible car les efforts à déployer pour mettre en place une fraude sont exagérément élevés au regard des montants qui pourraient être dérobés. « Le QR code présente l'avantage d'être très peu couteux à mettre en œuvre, théoriquement un peu moins sûr que le NFC, c’est vrai, mais tout dépend du seuil d'acceptation du risque de fraude » explique Laurent Nizri. « En Europe, nous sommes dans une culture du zéro défaut en la matière mais ce n'est pas le cas dans d'autres zones géographiques, notamment aux Etats-Unis où la pluparts des cartes bancaires n'ont toujours pas de puce. C'est un risque assuranciel assumé qui fait que l'on paye la transaction bien plus cher qu'en Europe. C'est pour cela que le coût des transactions est 6 à 7 fois plus cher dans d'autres zones du globe qui doivent tenir compte du coût de la fraude qui est plus élevé. »
L'Inde, un gisement d'un milliard de consommateurs potentiels
Peu cher à produire et d'une technologie mature, le QR code dédié au paiement bénéficie en outre d'une interopérabilité entre les portefeuilles électroniques depuis le début de l'année. Visa, Mastercard et l'opérateur de paiement indien RuPay se sont entendus sur la rédaction d'une spécification commune si bien qu'un QR code pourra être lu et analysé indifféremment par les applications mobiles des 3 partenaires.
Mastercard ne cachait pas ses ambitions lors du Mobile World Congress de cette année : conquérir l'Inde avec son offre de paiement par QR code.
Le fait que Visa et Mastercard aient négocié avec un opérateur indien n'a rien du hasard. Ceux-ci cherchent à conquérir un marché d' 1 milliard d'utilisateurs dans un pays où le cash est roi, ce qui influe très directement sur le taux de criminalité mais aussi la corruption dans le pays. La démonétisation récente des billets de 500 et 1 000 roupies a déclenché le chaos dans le pays et une évolution rapide vers le paiement mobile pourrait venir en aide aux autorités indiennes. "L'Inde est un pays important pour Mastercard pour de multiples raisons, y compris pour notre CEO d'un point de vue personnel. Nous y menons des programmes d'inclusion financière qui sont extrêmement importants dans notre stratégie. Au delà du business, c'est une véritable réflexion et action que nous menons sur comment il faut accompagner ces pays vers une diminution du cash" conclut Olivier Gabrielli.