[Critique] À CEUX QUI NOUS ONT OFFENSÉS
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Titre original : Trespass Against Us
Note:
Origine : États-Unis
Réalisateur : Adam Smith
Distribution : Michael Fassbender, Brendan Gleeson, Lyndsey Marshal, Sean Harris, Rory Kinnear, Georgie Smith, Tony Way…
Genre : Drame
Date de sortie : 1er mars 2017
Le Pitch :
Les Cutler vivent en marge de la société anglaise, cambriolant à tour de bras et narguant régulièrement la police. Œuvrant pour faire perdurer un mode de vie nomade et entretenant chez les siens une haine tenace des autorités, Colby, le patriarche, se heurte néanmoins à son fils aîné, Chad, qui de son côté, aimerait plutôt se poser et offrir à sa femme et à ses enfants une vie plus paisible. Entre une tradition qui l’expose au risque de se retrouver derrière les barreaux et une volonté de faire de meilleurs choix pour les siens, Chad va devoir choisir…
La Critique de À ceux qui nous ont offensés :
Réalisateur ayant officié sur les séries Skins et Doctor Who, Adam Smith, ancien clippeur de son état, a également emballé en 2012 un documentaire sur les Chemical Brothers. À ceux qui nous ont offensés est son premier film de cinéma. Une immersion au cœur d’un camps de gitans irlandais articulée autour d’une famille qui menace de se déchirer à tous moments. Un long-métrage à la croisée des chemins du pur drame familial, du thriller et de l’étude sociétale qui s’inspire à la fois d’un fait divers survenu dans les Costwolds mais aussi du Chat noir, Chat blanc, d’Emir Kusturica…
Apologie de l’anarchie
À ceux qui nous ont offensés repose sur une thématique précise, à savoir les préjugés. Les personnages principaux, que l’on parle du père campé par Brendan Gleeson ou du fils interprété par Michael Fassbender, ne sont pas des enfants de cœur. Ce sont des marginaux. Des gens du voyage. Des citoyens évoluant dans leur propre monde, qui se heurtent sans cesse à la police et plus globalement à tous ceux qui ne font pas partie de leur sphère. Alors oui, le film ne cache pas leur part d’ombre, bien au contraire, et donne raison aux autorités sur un plan purement « légal ». Pour autant, Adam Smith et Alastair Siddons, le scénariste, s’attachent également à décrire leurs rapports et plus particulièrement l’amour qui unit Chad (Fassbender), sa femme, et ses enfants, via son désir farouche de s’écarter de cette vie et d’offrir à ses gamins l’éducation que son propre père lui a interdite. Le père d’ailleurs, Colby (Brendan Gleeson) incarnant pour sa part une tradition d’un autre âge, à base de croyances dépassées (rejet de la théorie de l’évolution, haine de la police, fanatisme religieux). Les choses sont donc beaucoup plus complexes et à l’arrivée, le long-métrage vient un peu se placer dans le sillage des films de mafia. Le récit prend pied dans un microcosme symbolisé par ses contradictions. On nous parle de filiation, d’ambition, de rédemption et du poids d’un héritage lourd à porter. De protagonistes loin d’être irréprochables, qui dès lors qu’ils se frottent à « l’extérieur » font aussi face -c’est de plus en plus flagrant à mesure que l’histoire avance- à une hostilité bâtie en grande partie sur des préjugés.
À ceux qui nous ont offensés n’a ainsi rien de manichéen. Il est difficile de prendre partie car, à de rares exceptions près, rien n’est jamais noir ou blanc.
À l’heure du Brexit, le métrage prend également une signification des plus intéressantes, dans sa propension à mettre en exergue les failles qui fragilisent une seule et même société. Le tout en se focalisant sur une communauté souvent ignorée et méprisée. Une démarche ambitieuse qui permet à Adam Smith de conférer de la force à son film et bien sûr un supplément d’âme et de pertinence.
Caravan Palace
Pétri de bonnes intentions, Adam Smith adapte également sa mise en scène au contexte et à ses personnages. Quand il fait les présentations, puis quand l’étau se resserre sur Fassbender, son approche adopte les codes du documentaire. Il colle de près à ses acteurs et fait preuve d’une apprêté très à-propos. Pour autant, c’est bien lorsqu’il filme les scènes de poursuites avec la police que son toucher s’affirme avec le plus de flamboyance. C’est aussi dans ces moments-là que son passé de réalisateur de clips refait surface. Une course-poursuite en particulier retient l’attention. Au début en voiture, de nuit, puis à pieds, à travers bois, avec cette précision et cette belle audace, qui finalement, sied à merveille à la démarche et sert le propos.
Mais… À ceux qui nous ont offensés manque tout de même d’un peu de souffle. Il n’a pas, par exemple, la force de plusieurs de ses références, avouées ou non. Il ne cesse de faire preuve d’un mérite somme toute assez rare, notamment dans son dénouement, impeccable, mais oublie en chemin de donner de l’ampleur à son récit et peine ainsi à véritablement toucher au vif comme il aurait pu le faire.
Heureusement, à lui seul, le duo Michael Fassbender/Brendan Gleeson suffit à conférer au film une puissance qu’il peine parfois à entretenir. Le premier est parfait, dans un registre confidentiel proche des rôles qu’il a pu tenir chez Steve McQueen (Shame, Hunger). À fleur de peau, il parvient à donner corps au déchirement qui caractérise son personnage, tandis, qu’en face, Brendan Gleeson arrive à camper sans trop en faire, un patriarche assez flippant, mais aussi, par bien des aspects, définit par ses nombreuses contradictions. Les excellents Lyndsey Marshal, Sean Harris et Rory Kinnear parvenant à exister à côté, bien qu’au fond, toute la dynamique du film repose sur l’opposition de Fassbender et de Gleeson.
En Bref…
Très méritant, intense et jamais ennuyeux, À ceux qui nous ont offensés n’a pas la puissance espérée mais demeure très recommandable. Pour ses acteurs, parfaitement dirigés, pour sa sincérité et pour son sujet, finalement assez peu traité au cinéma et ici pris avec le plus grand sérieux, avec un regard à bien des égards nouveau…
@ Gilles Rolland
Crédits photos : The Jokers/Les Bookmakers