La vie de Marx est, indivisiblement, celle d'un savant
et cette d'un militant . Une vie de misère et
d'exil. Pendant
les années où, à la Bibliothèque de Londres, il
poursuivait ses recherches pour la composition du Capital,
Marx connut le dénuement le plus atroce. Refusant
inflexiblement les offres du gouvernement prussien
et de
Bismarck qui voulaient acheter son génie, n'ayant
que
les ressources intermittentes de quelques articles
au
New York Herald Tribune, Marx et sa famille auraient
succombé sans l'aide que leur apporta sans
défaillance
Engels.
Après avoir vendu, pour payer les dettes de la Nouvelle
Gazette Rhénane à Francfort, l'argenterie des
dues
d'Argyll et, à Cologne, les meubles qui étaient la
dot de
sa femme, Marx, harcelé par les créanciers jusque
dans
les pires taudis, dut, en 1851, emprunter de
l'argent
pour acheter le berceau de sa dernière fillette, et,
un an
plus tard, emprunter encore pour payer son cercueil.
Sa
femme le suivit sans faiblesse dans cet enfer où les
huissiers
mirent un jour les scellés sur les lits, les
berceaux,
les jouets même des enfants, et où la famille se
retrouva,
tremblant de fièvre et de froid sur le parquet.
Madame
Marx, épuisée allaitait l'un de ses enfants : «les
derniers
jours il fut en proie à de violentes convulsions,
écrit-elle;
il tétait si furieusement quand il était pris de ses
crises, qu’il me blessait le sein et que mon sang coulait
dans sa petite bouche tremblante... » Et elle
ajoutait:
« je ne sais que trop que nous ne sommes pas seuls à
lutter et que je suis encore au nombre des élues,
des
heureuses... Ce qui m'anéantit c'est de penser que
mon
compagnon doive passer par de si sordides soucis »
alors que tant d'êtres « avaient trouvé en lui une
pensée,
une aide, un refuge.»
L'amour de Jenny et l'amitié d'Engels ont permis à Marx d'accomplir son oeuvre et de l'achever même au-delà de sa mort, puisque lorsqu'il mourut à Londres te 14 mars 1883, Engels, renonçant à tous ses travaux personnels, consacra tout le reste de sa vie, pendant douze ans encore, à la mise en ordre et à la publication des oeuvres de Marx. Tel fut te style de cette vie : le style de la grandeur, du combat et de l'amour. L'oeuvre eut une destinée prodigieuse. Après avoir apporté à la philosophie le renouvellement le plus profond qu'elle ait connu depuis la naissance de la pensée rationnelle, Marx a fondé l'économie politique scientifique, il a élaboré la méthodologie de l'histoire et de toutes tes sciences humaines, et, dotant le prolétariat de la science de la transformation du monde, lui enseignant l'art de vaincre dans sa lutte de classe, il est devenu, depuis un siècle, le chef vivant du mouvement ouvrier mondial. Son triomphe posthume est sans précédent En juin 1848, la classe ouvrière insurgée n'avait tenu que trois jours le pavé de Paris. En 1871 avec la Commune, la première dictature du prolétariat avait vécu trois mois. Avec la Révolution d'Octobre 1917, la victoire du marxisme s'inscrivait durablement, irréversiblement dans l'histoire : c'était désormais une force contre laquelle se sont brisés tous les assauts du monde du capital, de 1917 à 1920 comme de 1941 à 1945. En face du marxisme vivant, le capital ne livre plus, depuis bientôt un demi-siècle que des combats en retraite, en Europe, et Asie et jusqu'aux Caraïbes. Le marxisme a conquis de nos jours une universalité de fait que n'avait connu dans le passé aucun mouvement spirituel, politique ou philosophique: non seulement déjà un homme sur trois, dans le monde, vit dans use société construisant le socialisme selon les enseignements de Marx, mais le marxisme est devenu l'axe de référence par rapport auquel de nos jours, toute pensée et toute action se situent : pour lui ou contre lui. Le marxisme a pourtant connu bien des vicissitudes depuis un siècle : ses adversaires ont tenté d'abord de faire sur lui le silence ; puis ils ont dû le dénoncer avec fureur en en présentant une caricature effrayante ; ils en sont réduits aujourd'hui à essayer de l'apprivoiser en le travestissant selon les modes philosophiques du jour, pour tenter de canaliser son dynamisme. « Un adage bien connu, écrit Lénine1, dit que si les axiomes géométriques heurtaient les intérêts des hommes, on essayerait certainement de les réfuter. Les théories des sciences naturelles, qui hantaient tes vieux préjugés de la théologie ont suscité et suscitent encore une lutte forcenée. Rien d'étonnant si la doctrine de Marx, qui sert directement à éclairer et à organiser la classe avancée de la société moderne, indique les tâches de cette classe et démontre que — par suite du développement économique — le régime actuel sera inévitablement remplacé par un nouvel ordre de choses, rien d'étonnant si cette doctrine a dû conquérir de haute lutte chaque pas sur le chemin de la vie. La lutte de Marx et d'Engels contre les jeunes hégéliens, contre le proudhonisme, contre Bakounine, contre le positivisme de Duhring, pendant un demi-siècle, de 1840 à 1890, aboutirent à la victoire du marxisme dans le mouvement ouvrier. Mais, dès la fin du siècle, la lutte du courant antimarxiste commence à se développer au sein du marxisme lui-même, et le révisionnisme de Bernstein en est l'expression la plus systématique, de la philosophie à l'économie et à la politique. Son exemple, depuis lors, a été maintes fois imité et c'est dans la lutte contre tous les révisionnismes que le marxisme s'est constamment retrempé, affermi et développé. La lutte menée par Lénine et le parti bolchevik contre le révisionnisme et l'opportunisme rendit possible la Révolution socialiste d'octobre. Et l'expérience historique la plus constante a montré que, lorsque le marxisme était abandonné les socialistes au pouvoir ne pouvaient instaurer te socialisme: de l'Angleterre à l'Australie, de la Nouvelle Zélande à l'Allemagne et à la Scandinavie, le « socialisme » non marxiste, s'est révélé une variante de la gérance des intérêts fondamentaux du capitalisme. Partout où la propriété privée des moyens de production a été abolie, partout où s'est réalisée une véritable révolution socialiste, ce fut dans les voies indiquées par Marx : par un parti marxiste et par une dictature du prolétariat, quelle que soit la diversité des formes de cette dictature et la diversité des voies, violentes ou pacifiques, de son instauration. Les succès les plus éclatants du marxisme furent parfois freinés et tenus par des déformations de la pensée de Marx. Pendant un quart de siècle, la construction héroïque et douloureuse du socialisme, à laquelle le monde du capital imposait la politique du fil de fer barbelé eut à vivre dans un véritable état de siège qui exigeait
le maximum de tension et de centralisation des forces. Cette situation de guerre rendit possible le développement de phénomènes politiques et intellectuels qui constituaient une violation flagrante des principes du marxisme et de l'essence du régime socialiste : culte du chef, bureaucratie, sclérose dogmatique de la pensée, isolement spirituel, qui conduisirent, sur le plan intellectuel, à l'époque dominée par la personnalité de Staline, à de graves déformations du marxisme : régression vers un matérialisme scientiste, pré-marxiste, conception spéculative de la dialectique réduite à l'énoncé de quatre « traits immuables », conception mécaniste desrapports de la base et de la superstructure, rupture avec la pratique vivante des sciences et des arts. Les conséquences de ce schématisme et de cette sclérose sont redoutables.
Le marxisme lorsqu’il devient dogme, cesse d’être un guide
pour l’action comme pour la pensée. Au nom des lois déjà
connues de la dialectique l’on prétendra trancher a priori
des problèmes scientifiques en biologie, en physique, en psychologie,
l’on condamnera a priori certaines formes d’expression
artistique, on l’en exclura a priori certaines possibilités historiques.
L'exemple, sans précédent historique, de l'autocritique
publique faite par le premier et le plus grand des pays socialistes, a permis une véritable renaissance de la pensée marxiste et créé les conditions d'un grand développement créateur. Le développement du marxisme dans le sens où le conçut Karl Marx nous aide à prendre conscience de son actualité profonde : le marxisme est la conception du monde accordée à l'esprit de notre temps. A la différence de conceptions du monde antérieures comme la pensée chrétienne, élaborée longtemps avant la naissance du monde moderne, accordée à d'autres conditions historiques et qui ne peut tenter de s'adapter à l'intelligence des élites nouvelles qu'en remettant en cause ses principes mêmes, ou de doctrines nées des angoisses d'une société en pleine métamorphose, comme l'existentialisme, et n'en reflétant, sous une forme mystifiée, que des aspects partiels, le marxisme est né, organiquement, de l'ensemble des conditions du monde moderne dont il exprime la prise de conscience et l'âme vivante. Il est l'héritier de l'humanisme prométhéen de la Révolution française, de cette certitude de la toute puissance de l'homme et de sa liberté, que la philosophie allemande n'a cessé d'approfondir de Kant à Fichte, de Goethe à Hegel, l'héritier aussi de cette conception de la société comme organisme collectif du travail créateur de l'homme, dont les économies classiques de l'Angleterre avaient commencé l'exploration et dont le socialisme français, avec Saint-Simon notamment, avait tracé les perspectives démiurgiques. En découvrant, dans la classe ouvrière, l'héritier et le porteur de toute la culture antérieure et de toute la civilisation humaine, en découvrant les racines de l'aliénation fondamentale du travail créateur de l'homme, en découvrant enfin, par l'étude scientifique du développement
des sociétés, les lois dialectiques du dépassement historique des aliénations par la lutte des classes, Marx pose les fondements d'une philosophie qui exprime le mouvement de toute une époque historique : l'époque qui commence avec la lutte contre le capitalisme et se poursuit avec la construction du socialisme et du communisme.
Roger Garaudy, Karl Marx, pages 296 à 303 >> A SUIVRE >> Envoyer par e-mailBlogThis!Partager sur TwitterPartager sur FacebookPartager sur Pinterest Libellés : Marx, Roger Garaudy
L'amour de Jenny et l'amitié d'Engels ont permis à Marx d'accomplir son oeuvre et de l'achever même au-delà de sa mort, puisque lorsqu'il mourut à Londres te 14 mars 1883, Engels, renonçant à tous ses travaux personnels, consacra tout le reste de sa vie, pendant douze ans encore, à la mise en ordre et à la publication des oeuvres de Marx. Tel fut te style de cette vie : le style de la grandeur, du combat et de l'amour. L'oeuvre eut une destinée prodigieuse. Après avoir apporté à la philosophie le renouvellement le plus profond qu'elle ait connu depuis la naissance de la pensée rationnelle, Marx a fondé l'économie politique scientifique, il a élaboré la méthodologie de l'histoire et de toutes tes sciences humaines, et, dotant le prolétariat de la science de la transformation du monde, lui enseignant l'art de vaincre dans sa lutte de classe, il est devenu, depuis un siècle, le chef vivant du mouvement ouvrier mondial. Son triomphe posthume est sans précédent En juin 1848, la classe ouvrière insurgée n'avait tenu que trois jours le pavé de Paris. En 1871 avec la Commune, la première dictature du prolétariat avait vécu trois mois. Avec la Révolution d'Octobre 1917, la victoire du marxisme s'inscrivait durablement, irréversiblement dans l'histoire : c'était désormais une force contre laquelle se sont brisés tous les assauts du monde du capital, de 1917 à 1920 comme de 1941 à 1945. En face du marxisme vivant, le capital ne livre plus, depuis bientôt un demi-siècle que des combats en retraite, en Europe, et Asie et jusqu'aux Caraïbes. Le marxisme a conquis de nos jours une universalité de fait que n'avait connu dans le passé aucun mouvement spirituel, politique ou philosophique: non seulement déjà un homme sur trois, dans le monde, vit dans use société construisant le socialisme selon les enseignements de Marx, mais le marxisme est devenu l'axe de référence par rapport auquel de nos jours, toute pensée et toute action se situent : pour lui ou contre lui. Le marxisme a pourtant connu bien des vicissitudes depuis un siècle : ses adversaires ont tenté d'abord de faire sur lui le silence ; puis ils ont dû le dénoncer avec fureur en en présentant une caricature effrayante ; ils en sont réduits aujourd'hui à essayer de l'apprivoiser en le travestissant selon les modes philosophiques du jour, pour tenter de canaliser son dynamisme. « Un adage bien connu, écrit Lénine1, dit que si les axiomes géométriques heurtaient les intérêts des hommes, on essayerait certainement de les réfuter. Les théories des sciences naturelles, qui hantaient tes vieux préjugés de la théologie ont suscité et suscitent encore une lutte forcenée. Rien d'étonnant si la doctrine de Marx, qui sert directement à éclairer et à organiser la classe avancée de la société moderne, indique les tâches de cette classe et démontre que — par suite du développement économique — le régime actuel sera inévitablement remplacé par un nouvel ordre de choses, rien d'étonnant si cette doctrine a dû conquérir de haute lutte chaque pas sur le chemin de la vie. La lutte de Marx et d'Engels contre les jeunes hégéliens, contre le proudhonisme, contre Bakounine, contre le positivisme de Duhring, pendant un demi-siècle, de 1840 à 1890, aboutirent à la victoire du marxisme dans le mouvement ouvrier. Mais, dès la fin du siècle, la lutte du courant antimarxiste commence à se développer au sein du marxisme lui-même, et le révisionnisme de Bernstein en est l'expression la plus systématique, de la philosophie à l'économie et à la politique. Son exemple, depuis lors, a été maintes fois imité et c'est dans la lutte contre tous les révisionnismes que le marxisme s'est constamment retrempé, affermi et développé. La lutte menée par Lénine et le parti bolchevik contre le révisionnisme et l'opportunisme rendit possible la Révolution socialiste d'octobre. Et l'expérience historique la plus constante a montré que, lorsque le marxisme était abandonné les socialistes au pouvoir ne pouvaient instaurer te socialisme: de l'Angleterre à l'Australie, de la Nouvelle Zélande à l'Allemagne et à la Scandinavie, le « socialisme » non marxiste, s'est révélé une variante de la gérance des intérêts fondamentaux du capitalisme. Partout où la propriété privée des moyens de production a été abolie, partout où s'est réalisée une véritable révolution socialiste, ce fut dans les voies indiquées par Marx : par un parti marxiste et par une dictature du prolétariat, quelle que soit la diversité des formes de cette dictature et la diversité des voies, violentes ou pacifiques, de son instauration. Les succès les plus éclatants du marxisme furent parfois freinés et tenus par des déformations de la pensée de Marx. Pendant un quart de siècle, la construction héroïque et douloureuse du socialisme, à laquelle le monde du capital imposait la politique du fil de fer barbelé eut à vivre dans un véritable état de siège qui exigeait
le maximum de tension et de centralisation des forces. Cette situation de guerre rendit possible le développement de phénomènes politiques et intellectuels qui constituaient une violation flagrante des principes du marxisme et de l'essence du régime socialiste : culte du chef, bureaucratie, sclérose dogmatique de la pensée, isolement spirituel, qui conduisirent, sur le plan intellectuel, à l'époque dominée par la personnalité de Staline, à de graves déformations du marxisme : régression vers un matérialisme scientiste, pré-marxiste, conception spéculative de la dialectique réduite à l'énoncé de quatre « traits immuables », conception mécaniste desrapports de la base et de la superstructure, rupture avec la pratique vivante des sciences et des arts. Les conséquences de ce schématisme et de cette sclérose sont redoutables.
Le marxisme lorsqu’il devient dogme, cesse d’être un guide
pour l’action comme pour la pensée. Au nom des lois déjà
connues de la dialectique l’on prétendra trancher a priori
des problèmes scientifiques en biologie, en physique, en psychologie,
l’on condamnera a priori certaines formes d’expression
artistique, on l’en exclura a priori certaines possibilités historiques.
L'exemple, sans précédent historique, de l'autocritique
publique faite par le premier et le plus grand des pays socialistes, a permis une véritable renaissance de la pensée marxiste et créé les conditions d'un grand développement créateur. Le développement du marxisme dans le sens où le conçut Karl Marx nous aide à prendre conscience de son actualité profonde : le marxisme est la conception du monde accordée à l'esprit de notre temps. A la différence de conceptions du monde antérieures comme la pensée chrétienne, élaborée longtemps avant la naissance du monde moderne, accordée à d'autres conditions historiques et qui ne peut tenter de s'adapter à l'intelligence des élites nouvelles qu'en remettant en cause ses principes mêmes, ou de doctrines nées des angoisses d'une société en pleine métamorphose, comme l'existentialisme, et n'en reflétant, sous une forme mystifiée, que des aspects partiels, le marxisme est né, organiquement, de l'ensemble des conditions du monde moderne dont il exprime la prise de conscience et l'âme vivante. Il est l'héritier de l'humanisme prométhéen de la Révolution française, de cette certitude de la toute puissance de l'homme et de sa liberté, que la philosophie allemande n'a cessé d'approfondir de Kant à Fichte, de Goethe à Hegel, l'héritier aussi de cette conception de la société comme organisme collectif du travail créateur de l'homme, dont les économies classiques de l'Angleterre avaient commencé l'exploration et dont le socialisme français, avec Saint-Simon notamment, avait tracé les perspectives démiurgiques. En découvrant, dans la classe ouvrière, l'héritier et le porteur de toute la culture antérieure et de toute la civilisation humaine, en découvrant les racines de l'aliénation fondamentale du travail créateur de l'homme, en découvrant enfin, par l'étude scientifique du développement
des sociétés, les lois dialectiques du dépassement historique des aliénations par la lutte des classes, Marx pose les fondements d'une philosophie qui exprime le mouvement de toute une époque historique : l'époque qui commence avec la lutte contre le capitalisme et se poursuit avec la construction du socialisme et du communisme.
Roger Garaudy, Karl Marx, pages 296 à 303 >> A SUIVRE >> Envoyer par e-mailBlogThis!Partager sur TwitterPartager sur FacebookPartager sur Pinterest Libellés : Marx, Roger Garaudy