Palmyre aujourd'hui et Palmyre par Volney au dix-huitième siècle. Un parallèle d'où émane un sentiment d'étrange et perpétuelle plongée vers l'erreur et son cortège de malheurs. C'est après un voyage en Syrie (Baalbek en août 1784, Alep en janvier 1784) que Volney (1757-1820) compose d'abord un ouvrage qu'il publie en 1788 sous le titre Voyage en Égypte et en Syrie et ensuite, en 1791, Les Ruines ou Méditation sur les révolutions des empires qui lui vaudra un vrai succès puisqu'on compte quatre éditions de l'ouvrage jusqu'en 1817 et onze nouvelles éditions de 1817 à 1824, c'est-à-dire après la mort de l'auteur. Les Ruines rendent un vibrant hommage aux monuments en péril, sont une sorte de voix pour ces restes figés dans le silence; mais l'ouvrage signifie aussi la ruine des cosmogonies et des métaphysiques. Aussi, du registre concret des ruines archéologiques, Volney nous invite à une méditation sur la ruine des empires et sur la destruction des civilisations. Voici un passage qui donnera une idée de la manière de Volney:
L'actualité syrienne nous rend contemporaine la lecture de cet ouvrage de Volney. La destruction de Palmyre par les hordes folles de Daesh, la destruction du déjà déconstruit par le passé, par les hommes! - un paradoxe bien étrange - doit réveiller notre attention, nous faire méditer sur cette folie destructrice des "esprits" religieux...
Les ruines sont aisément à la portée de tous sur différents sites de téléchargements gratuits en raison du domaine public de l'œuvre. Ou bien entendu dans les médiathèques si celles-ci en disposent dans leurs rayons... " Le voyage
La onzième année du règne d' Abd-Ul-Hamîd, fils d' Ahmed, empereur des turks; au tems où les tartares-nogaïs furent chassés de la Krimée, et où un prince musulman, du sang de Gengiz-Khan , se rendit le vassal et le garde d'une femme chrétienne et reine. Je voyageais dans l'empire des ottomans, et je parcourais les provinces qui jadis furent les royaumes d' égypte et de Syrie .
Portant toute mon attention sur ce qui concerne le bonheur des hommes dans l'état social, j'entrais dans les villes, et j'étudiais les moeurs de leurs habitans; je pénétrais dans les palais, et j'observais la conduite de ceux qui gouvernent; je m'écartais dans les campagnes, et j'examinais la condition des hommes qui cultivent; et par tout ne voyant que brigandage et dévastation, que tyrannie et que misère, mon coeur était oppressé de tristesse et d'indignation.
Chaque jour je trouvais sur ma route des champs abandonnés, des villages désertés, des villes en ruines. Souvent je rencontrais d'antiques monumens, des débris de temples, de palais et de forteresses; des colonnes, des aqueducs, des tombeaux : et ce spectacle tourna mon esprit vers la méditation des tems passés, et suscita dans mon coeur des pensées graves et profondes.
Et j'arrivai à la ville de Hems, sur les bords de l' Orontes ; et là, me trouvant rapproché de celle de Palmyre, située dans le désert, je résolus de connaître par moi-même ses monumens si vantés ; et, après trois jours de marche dans des solitudes arides, ayant traversé une vallée remplie de grottes et de sépulcres,tout à coup, au sortir de cette vallée, j'aperçus dans la plaine la scène de ruines la plus étonnante : c'était une multitude innombrable de superbes colonnes debout, qui, telles que les avenues de nos parcs, s'étendaient à perte de vue, en files symétriques.
Parmi ces colonnes étaient de grands édifices, les uns entiers, les autres à demi-écroulés. De toutes parts, la terre était jonchée de semblables débris, de corniches, de chapiteaux, de fûts, d'entablemens, de pilastres, tous de marbre blanc, d'un travail exquis. Après trois quarts d'heure de marche le long de ces ruines, nous entrâmes dans l'enceinte d'un vaste édifice, qui fut jadis un temple dédié au soleil; et je pris l'hospitalité chez de pauvres paysans arabes, qui ont établi leurs chaumières sur le parvis même du temple;et je résolus de demeurer pendant quelques jours pour considérer en détail la beauté de tant d'ouvrages.
Chaque jour je sortais pour visiter quelqu'un des monumens qui couvrent la plaine; et un soir que, l'esprit occupé de réflexions, je m'étais avancé jusqu'à la vallée des sépulcres, je montai sur les hauteurs qui la bordent, et d'où l'oeil domine à la fois l'ensemble des ruines et l'immensité du désert. Le soleil venait de se coucher;un bandeau rougeâtre marquait encore sa trace à l'horizon lointain des monts de la Syrie: la pleine lune à l'orient s'élevait sur un fond bleuâtre, aux planes rives de l'Euphrate; le ciel était pur, l'air calme et serein; l'éclat mourant du jour tempérait l'horreur des ténèbres; la fraîcheur naissante de la nuit calmait les feux de la terre embrasée;les pâtres avaient retiré leurs chameaux;l'oeil n'apercevait plus aucun mouvement sur la plaine monotone et grisâtre ; un vaste silence régnait sur le désert; seulement à de longs intervalles l'on entendait les lugubres cris de quelques oiseaux de nuit et de quelques chacals ... l'ombre croissait, et déjà dans le crépuscule mes regards ne distinguaient plus que les fantômes blanchâtres des colonnes et des murs... ces lieux solitaires, cette soirée paisible, cette scène majestueuse, imprimèrent à mon esprit un recueillement religieux. L'aspect d'une grande cité déserte, la mémoire des tems passés, la comparaison de l'état présent, tout éleva mon coeur à de hautes pensées.
Je m'assis sur le tronc d'une colonne; et là, le coude appuyé sur le genou, la tête soutenue sur la main, tantôt portant mes regards sur le désert, tantôt les fixant sur les ruines, je m'abandonnai à une rêverie profonde." " Vous verrez que l'histoire entière de l'esprit religieux n'est que celle des incertitudes de l'esprit humain, qui, placé dans un monde qu'il ne comprend pas, veut cependant en deviner l'énigme; et qui, spectateur toujours étonné de ce prodige mystérieux et visible, imagine des causes, suppose des fins, bâtit des systèmes; puis, en trouvant un défectueux, le détruit pour un autre non moins vicieux; hait l'erreur qu'il quitte, méconnaît celle qu'il embrasse, repousse la vérité qui l'appelle, compose des chimères d'êtres disparates, et, rêvant sans cesse sagesse et bonheur, s'égare dans un labyrinthe de peines et de folie "