Aujourd’hui, pendant que l’actualité continue de se remplir d’affaires judiciaires contre les candidats à la présidentielle, prenons le temps de nous éloigner de ces effervescences locales pour revenir sur l’intéressante histoire de la loi de Janvier 1973 sur la Banque de France, dite loi Giscard Pompidou Rothschild, ou plus exactement la petite histoire, bien plus intéressante, de sa récente célébrité sur internet.
Rendons tout d’abord à César ce qui est à César, puisque c’est à Guillaume Nicoulaud qu’on doit d’avoir retrouvé le parcours assez croustillant de la petite histoire derrière cette loi devenue subitement célèbre il y a quelques années. Et pour ceux qui ne sauraient pas trop bien de quoi on parle (ce qui serait logique, tant cette loi reste, malgré tout, assez étroite dans son application), rappelons qu’il s’agit d’une loi qui modifie le statut de la Banque de France et précise notamment les conditions autorisant l’État à emprunter à cette dernière.
En particulier, l’article 25 est celui qui sera le plus commenté, plusieurs décennies après son entrée en force, puisqu’il prévoit que, je cite, « Le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France ». En somme, cet article impose une certaine discipline dans la gestion monétaire de la dette, en créant simplement une procédure garantissant la transparence entre le ministre de l’économie et le gouverneur de la Banque de France, laquelle procédure doit être approuvée par le parlement. Pour rappel, l’interdiction qui est faite au Trésor de présenter ses propres bons à l’escompte de la Banque de France est un principe déjà communément admis de tous et déjà présent dans la loi du 24 juillet 1936.
Suite à l’effervescence récente d’un petit groupe d’activistes obstinés, cette loi aura été parée de plusieurs maux : selon eux, cette loi interdirait à l’État de se financer sans intérêt, et serait donc directement responsable de son endettement total (ou pas loin) ; et régulièrement, on indique en support à ces assertions les travaux de doctes économistes improvisés et autres vidéos palpitantes expliquant par le menu pourquoi l’État s’est vendu aux marchés et comment tout ceci est très méchant. Dans un billet détaillé paru en novembre 2011, je m’empressais d’ailleurs de crier « foutaises ! » et d’expliquer pourquoi ces assertions ne tiennent pas la route ; citons aussi celui de Magali Pernin qui résume bien la situation réelle.
Aujourd’hui, je vous propose de voir comment on en est arrivé là, et qui, selon toute vraisemblance, a aidé à propulser ainsi cette cargaison de fadaises sur les intertubes, et au-delà. Car en effet, elle a voyagé, cette notion que l’État français ne serait plus souverain pour émettre de « la dette gratuite », et ne pourrait donc plus la rembourser en imprimant la bonne quantité de francs, d’euros ou de Pistulons Républicains ! On la retrouve dès 2011 et 2012, décrite dans les programmes d’éternels candidats à la présidentielle comme Dupont-Aignan. Pour lui, comme pour d’autres qui l’ont bien vite rejoint (Jean-Luc Mélenchon puis Marine Le Pen, par exemple), horreur des horreurs, l’État n’est plus maître de sa dette.
Tout semble donc commencer avec deux sources possibles.
D’un côté, on trouve les travaux de Gabriel Galand et Alain Grandjean (connus seulement d’altermondialistes) qui, dans un livre de 1996, La monnaie dévoilée, expliquent leur point de vue sur la fameuse loi de 1973, sans toutefois aller aussi loin dans les conclusions que notre seconde source, un certain André-Jacques Holbecq.
De l’autre, pensionné de l’aviation civile, notre homme chérit dans sa retraite deux passions : l’ufologie et l’économie, et seulement l’anticapitaliste. Soyons indulgents, il n’est pas le premier à mêler ainsi la science qui gère la pénurie avec les extra-terrestres ; après tout, Paul Krugman avait fait de même il y a quelques années.
Or, depuis 2002, notre aimable retraité tient la forme : sur le sujet économique, il produit livre sur livre, accumule les sites et les blogs sur internet, à tel point qu’en 2007, il est repéré par Etienne Chouard, prof de lycée plus connu pour son militantisme que pour sa production intellectuelle, qui lui préfacera son livre consacré à la question, « La dette publique, une affaire rentable », écrit avec un certain Philippe Derudder et publié en 2008.
Dans un habile tango, Chouard va ainsi donner de l’audience à Holbecq qui utilisera en retour l’improbable aura de Chouard pour crédibiliser ses écrits, au point qu’en 2008, on retrouvera régulièrement nos deux compères chez Paul Jorion (que les habitués de ces colonnes connaissent probablement puisque j’avais parlé brièvement de cet économiste improvisé dans un précédent billet) au point que notre retraité s’en réclamera directement dans son dernier blog, PostJorion que seuls les plus solides d’entre vous sur le plan psychologique pourront aller visiter sans subir d’effets adverses.
C’est aussi à cette époque que le Canadien Paul Grignon (par ailleurs auteur de « Mystery Lines Sky », sur l’affrominable complot des chemtrails) produit « L’argent dette », vidéo qui relate par le menu comment les banques commerciales produisent de la dette (ce qui est exact), comment les intérêts détruisent le monde (ce qui est risible) et pourquoi seul l’État devrait produire de la monnaie (ce qui est absurde). Cette vidéo, simpliste, est un succès d’autant plus fort que la culture économique française est particulièrement lacunaire voire carrément fausse ; son succès permet d’asseoir les délires approximatifs de Holbecq et Chouard.
Partant de là, tout va s’enchaîner très vite : les semi-habiles de droite et de gauche (surtout aux extrêmes) trouvent dans la vidéo d’un côté et dans les « explications » de Chouard & Holbecq de l’autre un terrain de jeu génial permettant à la fois de légitimer le retour d’un État fort et l’abandon d’une méchante monnaie (l’euro) qui n’a pas été capable d’apporter le miel et le lait comme il avait été promis jadis.
La suite, on la connaît par nos fines élites politiques qui, découvrant l’intérêt de leurs sympathisants et de leurs militants pour ces thèses alternatives et commodes, s’approprient rapidement les concepts prédigérés et vont les remettre à leur sauce dans l’un ou l’autre de leurs programmes politiques habituels.
Voilà comment un empilement d’analyses approximatives et des éléments finalement complètement bidons se sont retrouvés propulsés sur le devant de la scène et se sont introduits dans les propositions de certains candidats qui, ne comprenant absolument pas les tenants et les aboutissants de cette loi et des principes politiques qui ont présidés à son introduction, s’empressent alors de relayer cette fumisterie pratique pour leurs visées électorales.
Une fois les écrans de fumée écartés, il ne reste qu’une paire de questions pour expliquer l’existence de ces dettes colossales qui s’empilent en France : qui, exactement, choisit ou non de faire de la dette, et qui, exactement, prête les sommes dont l’État a besoin ? Or, la réponse à ces questions permet de pointer du doigt l’éléphant dans le salon puisque sans l’ombre d’un doute, ce n’est pas la capacité de l’État à faire de la dette qui devrait être le sujet, mais plutôt, la propension catastrophique de nos élus à en contracter à tire-larigot.
Eh oui : foin de loi de 1973 Giscard Pompidou Rothschild Illuminati, un budget à l’équilibre (jamais voté depuis 1974) assurerait que la dette s’éteint. Foin de souveraineté et de monnaie imprimée librement, le fait de tenir les dépenses de l’État, le fait de ne dépenser qu’avec parcimonie l’argent pris au contribuable et, jamais ô grand jamais, de créer dette et déficits, tout ceci assure un avenir serein et une monnaie forte. Les exemples abondent de pays qui n’ont pas à subir cette loi et qui s’endettent comme des gorets au point d’être en faillite, de même qu’il existe des États qui se font fort de ne jamais s’endetter et ont, de ce point de vue, une monnaie stable et une économie prospère.
En définitive, l’histoire derrière la montée en sauce de ces explications tordues sur la loi de 1973 en dit beaucoup plus sur l’orientation politique et l’inculture économique assez consternante de ceux qui la développent que sur l’impact réel, au demeurant très modeste, de cette simple procédure de transparence introduite il y a plus de 40 ans.
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