Vincent Message porte bien son nom : son deuxième roman, Défaite des maîtres et possesseurs, est
une fable teintée d’anticipation mais qui parle bien, et fort, de notre monde
actuel. Les jurés du Prix Orange du livre, qui l’ont couronné, ne se sont pas
contentés d’une lecture superficielle à travers laquelle on suivrait le destin
d’une femme et les angoisses de l’homme qui l’aime.
Iris, qui vit avec Malo, a été renversée par une voiture,
ses blessures sont graves : un pied en bouillie, une jambe qu’il faudra
peut-être amputer et, c’est là qu’on pressent autre chose qu’un roman
contemporain « normal », au final, une possible décision
d’euthanasie. Car le monde où se déroulent ces événements n’est pas tout à fait
le nôtre : il est situé dans un avenir imprécis, où les hommes ne sont
guère plus, pour ceux qui les dominent, que des animaux comme les autres,
répartis en trois catégories : « ceux
qui travaillent pour nous ; ceux qui s’efforcent de nous tenir
compagnie ; ceux que nous mangeons. »
Malo Claeys, côté maîtres et possesseurs, appartient au
comité d’éthique qui vient d’élaborer un projet de loi contesté :
permettre aux hommes de vivre jusqu’à septante ans alors que leur fin est
actuellement fixée à soixante. L’idée consiste à leur donner cinq ans pour
transmettre ce qu’ils savent à leurs semblables, et cinq ans autres pour
profiter des cotisations qu’ils auront versées. Un système qui ne nous paraît
pas complètement étranger.
Mais la sensation d’étrangeté croît, en même temps que le
malaise, au fur et à mesure que se dévoile le fonctionnement d’une société où
l’élevage et l’abattage des hommes sont pratiqués selon des normes souvent
bafouées, où le fragile équilibre de la planète, vacillant sous le règne des
hommes (« des sacs plastique
traînaient le long des trottoirs »), a été plus ou moins rétabli grâce
à la fermeté des nouveaux dirigeants.
Où Iris, surtout, sauvée par Malo d’une ferme d’élevage,
devenue femme de compagnie, a été saisie d’une envie de liberté illusoire –
sauf si sonnait l’heure de la défaite pour les maîtres et possesseurs…
Chaque fois que le roman semble s’éloigner de ce que nous connaissons,
un détail ramène à la vie d’aujourd’hui, aux questions que pose l’évolution de
l’humanité et aux débats idéologiques qui tentent d’y répondre. En
privilégiant, selon des principes souvent opposés, le pragmatisme ou la
générosité. Comme dans la réalité, les pragmatiques ont beau jeu de lutter
contre les arguments des humanistes aux bons sentiments. Voilà qui donne à
réfléchir.