Découvrir un auteur me fait souvent le même effet que de faire une nouvelle connaissance. Aurai-je des affinités avec cette personne? Est-elle appelée à intégrer le cercle de mes amis ou ne sera-t-elle qu’un visage entrevu et aussitôt oublié?
Si d’Ormesson aura passé dans ma vie de lectrice sans s’y incruster, je sens que Toni Morrison vient d’accéder au groupe de mes «proches» littéraires. De ceux dont on a envie de tout lire, les Henning Mankell, les Robert Lalonde, les Victor Hugo.
Je ne savais rien de cette écrivaine, Prix Nobel de littérature, et dont les œuvres ont maintes fois été primées, avant que ma curiosité ne soit titillée par quelques lignes, dans un journal.
C’est un monde dur que nous peint Toni Morrison, mais non exempt de poésie et de tendresse. Malgré les pires abus, les pires sévices, des personnes survivent, revivent, aiment à nouveau.
C’est l’histoire d’une jeune femme noire, très noire, très belle aussi, toujours vêtue de blanc, «une panthère dans la neige». Elle se fait appeler Bride et gagne très bien sa vie dans une lucrative compagnie de cosmétique. Tout va pour le mieux jusqu’à ce que Steve, l’homme qu’elle aime, la quitte sans explication. Cet abandon et le moment particulier où il survient provoquent chez Bride de curieux changements corporels et la plonge dans une crise qui la remettra face à une faute du passé.
L’écriture est vive, incisive et souvent poétique.
Steve regarde son frère Adam faire du skate. Sur le trottoir, entre les haies et de très hauts arbres, Adam flottait, tache d’or passant dans un tunnel d’ombre en direction de la gueule d’un soleil vivant.
Elle avait si longtemps compté sur son apparence, sur tout l’effet produit par sa beauté. Elle n’avait pas connu la futilité de celle-ci ni sa propre lâcheté : leçon vitale que Sweetness [sa mère] lui avait enseignée et avait clouée à son échine pour la lui courber.
Magnifique roman, merveilleuse prise de contact avec une grande écrivaine.
Toni Morrison, Délivrances, Christian Bourgeois Éditeur, 2015