Un vendredi de février, il y a quelques semaines.
J’ai pris le bus pour rentrer chez moi, après le travail
Je suis fatiguée physiquement. Mais de la bonne fatigue hein. De la fatigue de tout le taf que j’ai vaillamment abattu pendant ma semaine. Moralement, je suis plus détendue que fatiguée, la semaine a été ponctuée de messages de bon anniversaire et mes 36 ans me paraissent moins menaçants qu’il y a quelques jours.
J’ai envie de m’avachir, de dormir même, bercée par le mouvement du bus, mais je résiste, je ne veux pas louper mon arrêt.
Je regarde dehors, je me dis que c’est chouette le vendredi. J’aime bien le vendredi, c’est un de mes jours préférés je crois.C’est comme si tout était free le vendredi, tu peux faire un apéro avec tes potes qui va durer jusqu’au bout de la nuit. Tu ne voulais pas sortir et puis finalement tu sors, tu te retrouves à une soirée et tu rencontres un mec super mignon et sympa. Et lorsque deux heures plus tard, lui et toi êtes en train de vous rouler des pelles, tu te dis que oui tu as bien fait de sortir. Tu peux rentrer chez toi et manger une pizza quatre fromages devant un film. Tu peux choisir d’aller dormir. Tôt. Parce que tu es fatiguée de ta semaine.
C’est en pensant à ça que j’ai regardé les lumières urbaines sur la route et que j’ai eu cette pensée : je suis bien là.
Rien qu’à cette pensée, je me suis sentie émue. Oui émue, dans ce bus, en train de rentrer chez moi. Mon manteau rouge en laine sur le dos, ma petite doudoune juste en dessous pour me garder au chaud, ma jupe noire fatalement seyante, mes boots aux pieds.
Pour rien au monde, je n’aurais donné ma place. Pour rien au monde, je ne voulais être ailleurs. Pour rien au monde, je n’aurais voulu être quelqu’un d’autre. C’est ça que je me suis dit.
Quelqu’un d’autre. Ce quelqu’un que j’ai essayé d’être à différents moments de ma vie, ce quelqu’un qui semblait plaire à d’autres, à Lui, à Elle, à Eux, mais qui n’était pas tout à fait moi.
Ce quelqu’un que j’aurais voulu être, une autre, issue de famille aisée, avec de l’argent et une grande maison, une big baraque avec la famille parfaite, le mobilier parfait, la voiture parfaite, le chien parfait.
Une autre plus mince, plus jolie, moins moche, moins bête, moins, plus, moins, plus.
Ce quelqu’un qui n’aurait pas reçu des insultes sur sa couleur de peau dès la primaire, ce quelqu’un qui n’aurait pas eu à subir les « sale négresse », « bamboula (même si certains vous diront que bamboula ça reste assez convenable) », les « mets ta tête dans le bol de lait ». Et qui des années après, aurait une conversation avec un ex qui lui dira que malgré ses sentiments il ne peut pas continuer avec elle parce que : mes parents ne comprendraient pas. Ils ne comprendraient pas quoi ? Que je sorte avec…toi parce que ça poserait problème. Tu comprends ?
Oui j’ai bien compris. Oui.
Je ne voulais pas être celle qui après avoir bravé tant de choses, s’apercevrait que l’on ne se débarrasse pas comme ça des stéréotypes raciaux, sociaux que d’autres peuvent avoir sur elle et que cela la poursuivrait. D’ailleurs, ce quelqu’un s’apercevrait aussi qu’il est dur pour elle de se débarrasser de vieilles croyances, de pensées limitantes, anxieuses. Entre le moment où l’on prend conscience des choses et le moment où on se sent apaisée vis à vis de ça, il y a du chemin.
Et putain qu’il est long.
Je ne voulais pas être celle qui passait son temps à se comparer, toujours en moins bien forcément, chez les autres c’était toujours mieux. Et les questions. Pourquoi eux et pas moi ? Qu’est ce qui cloche chez moi, y a forcément un truc qui ne doit pas aller, parce que je n’ai pas de chance, pourquoi ?
Je ne voulais pas être celle qui a passé plus de la moitié de sa vie a détesté son corps et qui a pris conscience assez récemment que ce corps c’est son vaisseau et qu’il ne sert à rien de le malmener. Que maintenant, il faut arrêter, il faut faire la paix. Faire la paix ? Oui faire la paix. Et avoir de la gratitude, le remercier, lui qui me permet de me mouvoir avec autant de dynamisme.
Je ne voulais pas être celle qui comprend que les expériences mauvaises surtout, m’apprennent quelque chose sur moi.
Je ne voulais pas me connaître, je ne voulais pas savoir qui j’étais réellement. J’avais peur de ce que j’allais trouver je crois à force de trifouiller dans mes états-d’âme.
Et puis la thérapie, la vie, les gens, les rencontres, les changements, les évènements bim dans ta gueule tout cela m’amènent inexorablement à celle que je suis.
Dans ces conditions, maintenant que je sais un peu mieux qui je suis et ce que je vaux, je ne peux plus me déconsidérer.
Et ce n’est pas, plus possible.
Alors ?
Bah alors j’aime et je suis fière de celle que je suis.
La tête appuyée sur cette vitre de bus, j’ai donc réfléchi à tout cela. Et à d’autres choses. J’ai pensé : chemin parcouru. J’ai pensé : bonheur. J’ai pensé : amour. Je me suis dit qu’il fallait que je profite de ce moment de lucidité consciente parce que cela n’allait pas durer.
J’ai rigolé. Toute seule oui.
Mon arrêt de bus est arrivé.
Je suis descendue.
J’ai marché d’un pas décidé jusqu’à chez moi.
Un vendredi soir, comme il y en aura tant d’autres.
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