Réécrire le Réel
Toutes mes nouvelles racontent des chemins de résilience, quand on parvient à se reconstruire au-delà de la douleur, et j'espère qu'elles inspireront chacun de vous en ce sens. Elles sont toutes inspirées du réel. J'ai véritablement recueilli des histoires, demander qu'on m'en raconte, pris des notes, effectué un tri... et cela a duré plusieurs années.Je croise deux genres dans "La Nuit s'évapore" : le genre de l'autofiction, puisque je mets en scène une narratrice qui me ressemble, et celui de la biographie romancée à travers le récit de "Vies" au sens ancien de Vidas : des vies exemplaires.
Je remercie d'abord et encore tous ceux qui ont partagé un récit avec moi. Je n'ai gardé que les trames de ces récits en général, et tout le reste est fictionnel. Les prénoms, les physiques des personnes, les mises en scènes lorsqu'un personnage s'adresse à la narratrice, tout cela est fictif.
Pour vous donner un exemple, je n'ai jamais rencontré "Jeanne" directement : on m'a raconté son histoire et je n'en ai jamais su la fin. Elle ne souffrait pas d'un problème de vue, mais d'un autre souci de santé accentué sans doute par son dilemme. Par ailleurs, j'avais rencontré une femme quelques années auparavant qui souffrait exactement de ce problème de vue, alors qu'aucune explication médicale ne lui était donné pour le soigner. J'ai mélangé ces personnes, et j'ai imaginé mon double de papier, la narratrice, partant à la rencontre de Jeanne.
J'ai aussi mêlé des souvenirs personnels à chaque histoire, et parfois imaginé des parties entières. Souvent on me racontait dans le réel une histoire qui durait quelques minutes : je devais donc créer ce qui manquait.
Goûter les évènements
A mes yeux, il est fondamental de faire de l'écriture une expérience sensorielle - ainsi mes récits insistent tous sur la manière dont nos corps vont à la rencontre du monde, et à la rencontre des autres. Tous décrivent comment nos sens absorbent autant qu'ils révèlent. Ils délivrent le sens des gestes et des objets.Une sensibilité aux mystères
Et parmi mes autres influences, j'en citerais deux : Gérard de Nerval et Christian Bobin. Deux auteurs qui ne sont pas si éloignés l'un de l'autre en termes de style et de préoccupations. Nerval, au XIXe siècle, appartient au romantisme qui cherche à percer les éngimes du monde visible pour atteindre les mystères du monde invisible.
Les récits de Nerval ne sont pas des romans, mais appartiennent au genre du "Récit poétique" tel que Jean-Yves Tadié l'a défini, un genre-modèle pour moi.
Christian Bobin, auteur contemporain, s'inscrit dans une quête mystique, recherchant l'absolu mais contrairement à Nerval, il le trouve dans les petits riens du réel, ou en racontant des vies en mode mineur, trouvant un lyrisme tendre qui convient bien à notre époque - Bobin nous branche sur la beauté qu'on ne voit plus ou qu'on néglige. Il nous ramène à l'essentiel.
Et Bobin, comme Nerval, consacrent une grande partie de leurs textes à une femme aimée ou mère idéale, puis disparue, mais que l'écriture (ou le rêve) permet de retrouver. Ainsi dans La plus que vive :
Ecrire pour moi, c'est aussi apprivoiser la perte. Et il me fallait apprivoiser celle de Yola, une figure maternelle à mes yeux, que je considérais comme un des piliers affectifs de ma vie, et qui avait disparu trop tôt.
Décrocher du réel - l'onirisme
Enfin, dans chacune de mes nouvelles, il advient toujours un moment où les personnages décrochent du réel et expérimentent des visions fantastiques, presque des états modifiés de conscience si l'on veut reprendre des termes chamaniques. Le monde tout à coup se déforme autour d'eux - c'est pour moi indispensable de telles scènes pour essayer de rendre ces instants où un drame frappe nos vies et tout semble alors s'effondrer (on le vit ainsi dans notre intérieur) tout paraît devenir obscur autour de nous.A l'inverse, dès que nous trouvons une issue de secours, tout se solidifie et tout peut s'éclaircir.
Si vous souhaitez me poser des questions sur ce livre, laissez-les dans les commentaires sur ce blog et je préparerai une troisième partie pour cet article !
Copyright photo : instagram de emma_sf