Jackie erre solitaire dans de froids jardins vides. Depuis l’assassinat de son illustre mari quelques jours auparavant, la First Lady américaine n’a plus de raisons d’être.
Biopic d’un nouveau genre, Jackie, première aventure états-unienne du cinéaste chilien Pablo Larraín, explore le visage de Natalie Portman sans percer sa mystérieuse intimité.
Fragments d’émotions
Comme dans Neruda (2017), Larraín s’amuse à prendre des figures historiques apparemment monolithiques dont il expose l’ambivalence. Si du grand poète chilien, on retiendra surtout sa prodigieuse capacité à fabuler sa chasse à l’homme, de Jackie Kennedy, souvent perçue dans l’ombre de son Président de mari, on découvre une infinie palette d’émotions. Cette dernière tient dans l’excellent jeu de Portman, à la fois rêveuse, révoltée et digne dans le deuil, comme dans un montage qui privilégie la coupe au raccord.
Ou plutôt, il faudrait parler dans le cinéma de Neruda de « raccord affectif ». L’usage remarquable qu’il fait du montage parallèle parvient en effet à créer une polyphonie de figures à partir du seul visage de Portman : ainsi de l’extraordinaire séquence des funérailles, où se mêlent, dans un grand mouvement élégiaque, une Jackie qui a pris le voile, une autre qui protège ses enfants, et une dernière qui revit l’instant fatidique où la balle traversa le crâne de Kennedy. À partir d’un moment t se déploie la gamme sentimentale des jours passés.
Pour unifier ces fragments d’émotions séparées dans l’espace et le temps, il faut la musique. Mais rien à voir avec du pathos lyrique. Les violons saccadés et stridents de Mica Levi viennent rayer une photographie froide comme autant d’appels au désespoir qu’on ne peut pas dire. Déchirantes et déchirées, ces envolées interrompues expriment l’impossibilité d’unifier le deuil.
Déconstruire le biopic
Jackie constitue une petite révolution au sein du genre très formaté du biopic. Trop souvent discursif, ce dernier se contente de dresser un portrait hagiographique ou à charge de la personnalité étudiée, et, pour ce faire, organise son existence autour de cette thèse que le film entend soutenir.
Or, Jackie échappe précisément à ce formatage en proposant au spectateur non pas le récit rigoureusement linéaire d’une vie, mais un ensemble éclaté de sensations qu’il s’agit de vivre du point de vue de la personne. En témoignent les nombreux gros plans sur le visage de Jackie : alors qu’ils servent traditionnellement à pénétrer une psychologie, ceux de Larraín, qui fonctionnent comme des inserts dans le montage, refusent de violer l’intériorité de la First Lady et se contentent de promener leur regard sur son visage lisse, où se révèlent des craquelures. Jamais on n’aura vu de si près le charmant bouton de Natalie Portman sur sa joue droite, et jamais bouton n’aura porté autant d’émotivité.
Avec Jackie, Pablo Larraín confirme son art du décrochage. Le réalisateur aime déconstruire l’espace et le temps pour introduire, dans un environnement fluctuant, la versatilité des sensations humaines.
Jackie, de Pablo Larraín, 2017
Maxime