Marx distinguait profondément la situation en France
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Le premier objectif de Marx c'est l’accomplissement de la Révolution allemande, de la Révolution bourgeoise, du 89 allemand, et cela exige l'étroite union de toutes tes forces démocratiques. Par contre Marx prenait résolument parti, dans ses colonnes, pour l'insurrection des ouvriers parisiens au mois de juin. En même temps il dénonçait tout ce qui, dans l'action de la gauche démocratique, était hésitation et même trahison envers la Révolution. Le Parlement, composé pour l'essentiel de grands bourgeois libéraux, était surtout hanté par le souci du maintien de l'ordre : il n'osa pas se proclamer souverain, dissoudre l'ancienne Diète d'Empire, former un gouvernement fédéral et une armée pour l'appuyer. Ce Parlement impuissant de Francfort, élut même l'archiduc Jean Président de l'Empire allemand, c'est-à-dire abandonna le pouvoir aux mains des princes. Dans ces conditions le roi de Prusse n'hésita pas à mettre en place un ministère réactionnaire. Marx organisa de multiples manifestations de masse, mais se prononça contre une insurrection, qui, en raison du manque de préparations de l'Allemagne à un soulèvement général, n'eût servi qu'à décapiter le mouvement de ses éléments les plus actifs. Mais le gouvernement prussien intensifia la répression. L'état de siège fut proclamé. Cette mesure soûlera contre le militarisme prussien même tes bourgeois les plus paisibles. Marx lança alors le mot d'ordre de grève de l'impôt et, pour soutenir la démocratie, la levée en masse de tous les hommes valides, la distribution des armes et la constitution de Comités de Salut public. Alors tes « ultras-révolutionnaires », partisans de Gottschalk, appelèrent tes ouvriers à ne pas prendre les armes, sous prétexte qu'il ne s'agissait pas d'intérêts proprement ouvriers et qu'il fallait laisser se battre entre eux absolutistes et constitutionnels. Par contre les communistes, selon le mot d'ordre du Manifeste Communiste de soutenir le mouvement révolutionnaire contre la réaction féodale, participèrent à l'insurrection. Marx, lorsqu'il comparut devant tes jurés de Cologne expliqua les raisons profondes de son attitude : « nous avons assisté à la lutte entre la vieille démocratie féodale et la société bourgeoise moderne, entre la société de la libre concurrence et la société corporative, entre la société fondée sur la propriété foncière et la société industrielle, entre la société de la foi et la société de la science. » Mais la bourgeoisie, qui pourtant voulait faire sa révolution, a redouté te développement d'une situation révolutionnaire par peur des masses : or, seule, elle était trop faible pour tenir tête aux féodaux. Les féodaux se sont donc servis de cette bourgeoisie contre le peuple puis se sont passés de ses services. La bourgeoisie allemande se révélait ainsi incapable de faire sa propre révolution. Il ne pouvait plus être question d'unir sous le drapeau de la démocratie le prolétariat et toutes les fractions de la bourgeoisie dans une lutte commune contre l'absolutisme et la réaction féodale. La grande bourgeoisie s'était d'elle-même exclue de cette alliance, ils'agissait désormais d'unir les classes moyennes et le prolétariat pour un régime qui n'abolirait pas la propriété privée des moyens de production mais où paysans, ouvriers, et petits bourgeois, obtiendraient un maximum de concessions. Une fois de plus, au début de 1849, les gauchistes, et notamment Gottschalk, attaquèrent violemment Marx qui montrait dans la Nouvelle Gazette Rhénane que la révolution ne pouvait encore être que bourgeoise. Dans une séance de la Ligue des Communistes du 15 septembre 1850 Marx dénonça violemment leur démagogie : « à un point de vue critique, disait-il, une minorité oppose un point de vue dogmatique, à une conception matérialiste, elle oppose une conception idéaliste. Pour elle la volonté doit remplacer les circonstances réelles comme élément moteur de l'histoire. Alors que nous disons aux ouvriers : vous aurez à soutenir dix ans, vingt ans, cinquante ans de guerres civiles et nationales, non seulement pour transformer les conditions de vie, mais pour vous transformer vous-mêmes et devenu- capables de gouverner, vous leur dites : il nous faut tout de suite conquérir le pouvoir ou sinon aller nous coucher !
Alors que nous attirons l’attention du prolétariat allemand sur son manque de maturité, vous flattez grossièrement le plus vulgaire sentiment national et les préjugés
de classe des ouvriers allemands, attitude qui ilest vrai,
vous attire une facile popularité. Les démocrates ont fait du mot « peuple » un mot sacré, vous en faites de même avec le mot « prolétariat » et comme chez les démocrates les mots chez vous remplacent les faits. » Contre cette phraséologie pseudo-révolutionnaire Marx définit une tactique précise. Sans exclure une collaboration des associations ouvrières et des démocrates il insistait désormais sur un problème essentiel:
préserver l'indépendance d'organisation du parti ouvrier.
A Paris, où les hésitations des bourgeois libéraux rappelaient les indécisions des parlementaires de la gauche allemande à Francfort, la «Montagne» s'était effondrée. Un appel trop tardif aux masses, le 13 juin 1849, n'eut d'autre résultat que l'arrestation des députés montagnards. Marx fut expulsé de Paris te 19 juillet il partit le mois suivant pour l'Angleterre où il devait désormais passer la quasi-totalité de sa vie. Refusant d'adhérer à des sociétés secrètes ou à des sectes dérisoires il préparait l'avenir en travaillant à l'élaboration de son oeuvre scientifique monumentale : Le Capital. Lorsque, vers 1860, des communistes américains lui proposèrent de reconstituer la Ligue des communistes, il répondit qu'il était convaincu de mieux servir la classe ouvrière par ses travaux théoriques que par une participation à des associations qui ne correspondaient plus aux exigences de l'époque.
De cette grande expérience politique des révolutions de 1848 Marx avait dégagé les principes fondamentaux de la stratégie et de la tactique d'un parti prolétarien ; celles qu'il définira en 1875 dans sa Critique du programme de Gotha : il ne saurait y avoir sur le plan des principes ni compromis ni concession mais au contraire fermeté absolue sur la doctrine ; par contre, un véritable parti d'action doit savoir, en chaque moment, élaborer avec des alliés, même provisoires et peu sûrs, un plan de lutte commune et des formes d'organisation acceptables par tous : tout pas fait en avant, toute progression réelle importe plus qu'une douzaine de programmes. Si donc on se trouvait dans l'impossibilité de dépasser le programme d'Eisenach, — et les circonstances ne le permettaient pas, — on devait se borner à conclure un accord pour l'action contre l'ennemi commun. Si on fabrique, au contraire, des programmes de principes (au lieu d'ajourner cela à une époque où pareils programmes eussent été préparés par une longue activité commune), on pose publiquement des jalons qui indiqueront au monde entier le niveau du mouvement du Parti. Les chefs des lassalliens venaient à nous, poussés par les circonstances. Si on leur avait déclaré des l'abord qu'on ne s'engagerait dans aucun marchandage de principes, il leur eût bien fallu se contenter d'un programme d'action ou d'un plan d'organisation en vue de l'action commune.
Roger Garaudy, Karl Marx, pp 273 à 277
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