Le rideau s' est levé au Parlement européen de Strasbourg. Musica 2008, 26 ième édition du Festival international des musiques d'aujourd'hui s'annonce extrêmement riche. Dominé par "les sentiments humains": amour, haine, ambition..."Ces passions qui rongent l'être au plus profond de lui-même" ou ces "penchants amoureux, discrets et mesurés, intimes ou nostalgiques"
L'homme "est au coeur du festival" soulignent Rémi Pflimlin et Donique Marco dans l'édito du programme qui est proposé du 20 septembre au 4 octobre prochain: 56 compositeurs, 97 oeuvres, dont 14 créations et 14 premières françaises. Avec deux hommages emblématiques. A Olivier Messian et à Stockhausen... Et Alain Bashung en fête de clôture.
Désordres lyriques, passions humaines
par Antoine GINDT
De son côté, Stockhausen a été ce visionnaire de champs musicaux où le céleste sidéral le dispute à l'autobiographique ; il aura organisé en plus de trois cent soixante-dix opus tous les principes d'avant-garde - instrumentaux, vocaux, spatiaux et électroniques. Si ces deux mondes sont des cosmogonies personnelles, elles entretiennent cependant une inaltérable relation à la modernité. Jamais chez eux, le passionnel ou le spirituel ne viennent détourner l'ambition musicale, simplifier les constructions, submerger les propos par une subjectivité exaltée.
Deux de leurs chefs-d'oeuvre, déjà anciens, Gruppen pour trois orchestres, la Transfiguration pour deux cents exécutants, le rappellent utilement. Ce double hommage polarise l'édition 2008 du festival sans pour autant en déterminer exclusivement le parcours où le visible et l'invisible, le mis en scène et le pur musical, le réfléchi et l'intuitif se complètent termes à termes.
Wolfgang Mitterer, cinquante ans cette année, se place justement de manière inédite au point d'intersection des différentes lignes d'écoute et d'attention. Il est à la conjonction des thématiques et des heurts esthétiques du festival. Artiste de filiation incertaine, il interroge, grâce à une posture personnelle et cohérente la musique en général, son impact et ses influences. Son oeuvre réintroduit le réel avec saisissement et mêle à une narration synthétique et imagée des textures instrumentales colorées et aléatoires. Car Mitterer parie encore sur un inouï, une manière nouvelle de faire, de faire valoir des rapports d'écoute, une volonté de se réapproprier librement des passions incertaines et humaines, de les encadrer dans des registres sonores fulgurants. Mitterer crée des ponts qui passent au-delà des oeuvres : organiste et compositeur, improvisateur autant qu'auteur d'un opéra inspiré de Marlowe, présenté pour la première fois en France, il bouscule l'ordre établi des conventions contemporaines.
Ces conventions, quelles qu'elles soient d'ailleurs, ne résistent pas longtemps aux artistes, comme le prouvent autrement Heiner Goebbels, dont les sentiments confiés aux chanteurs du Hilliard Ensemble sont plus doucement nostalgiques, et Pascal Dusapin qui fait siens tourments et humeurs d'un couple aux enfers dans son dernier opéra justement intitulé Passion. La religion n'y est plus, ni pour ses convictions, ni pour ses guerres.
Dans ces deux spectacles, le temps et le verbe sont les maîtres éléments, deux chassés croisés méditatifs qui s'inventent chacun des temporalités et des vocalités, créent un désordre lyrique au sens où ils s'éloignent des profils psychologiques du grand opéra. Cette agitation des sentiments par la voix se trouve pulvérisée dans les quarante Fragments-Kafka de György Kurtág, oeuvre secrète où transparaît la complexité des relations, et dans les vingt-quatre chants de Com que voz où le fado tente, grâce à la composition méticuleuse de Stefano Gervasoni, sa réconciliation amoureuse avec la poésie de Camões. De ces oeuvres du visible - rendues visibles par un théâtre plus ou moins sophistiqué - on glisse doucement de la musique à une perception du monde, aux passions humaines élevées au rang du sonore.
Des multiples lignes que Musica tire en 2008, le spectacle ou le spectaculaire orchestre donc un invisible. Stockhausen, dans ses choix de spatialité (les trois orchestres de Gruppen comme le dispositif vocal de Stimmung) ou Messiaen dans sa fresque gigantesque traitant de la transfiguration du Christ sont déjà au coeur du sujet, l'espace scénique ou le verbe conviant des dramaturgies de l'écoute qui ébranlent. C'est un fil rouge, du vertige associé aux deux pianos avec orchestre composé par le très jeune Christophe Bertrand - il parie sur une autre intégrité, celle de l'unicité sonore, de la déclinaison des grammaires d'avant-garde dont il hérite - aux partitions aux références littéraires (Beckett, Leopardi...), de l'oeuvre âpre et intime d'un Jacques Lenot au quatuor de Hugues Dufourt où, là encore, le discours ou la peinture sont explicitement convoqués.
De l'invisible et de la confrontation, l'orgue bien sûr pousse un point extrême, aveugle, une mise en scène acoustique et mentale dont l'expérience est celle du point de fuite. La vastitude, rapportée à une stricte introspection de l'écoute, s'abîme au lieu du regard intérieur. Une opposition aux intrusions hétérogènes et électriques qui hantent d'évocations et d'images choc les tenants d'un monde musical re-composé.
Antoine Gindt
(conseiller à la programmation)
En savoir plus et voir le programme sur le site de musica Commentaires (0)
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