Dans mon précédent billet, prétextant d'une dégustation récente autant que contrastée, j'évoquais le travail de Jules Guyot sur les vignes en général et les vignes et les vins du Médoc en particulier.
Didier Charton me suggérait alors de jouer la même partoche, mais sur un tempo bourguignon.
Pas de bol, car si je possède5 des 6 volumes du grand œuvre de Jules Guyot :
"Étude des vignobles de France, pour servir à l'enseignement mutuel de la viticulture et de la vinification françaises"
... il me manque le 6ème.
Précisément celui qui est consacré à la Bourgogne (entre autres régions).
Alors basculer vers la Champagne ?
Après tout Jules est d'origine champenoise (il est né en 1807 dans l’Aube, à Gyé-sur-Seine) et c'est là qu'il commença à faire ses gammes vitivinicoles, chez Jacquesson.
C'est là qu'est l'origine de son manuel de viticulture (que je possède dans l'édition de 1861, la deuxième donc). C'est aussi là qu'il développe le système de taille qui porte son nom, là encore qu'il pousse à la plantation en ligne et non plus en foule, entre autres joyeusetés de ce genre tenant tant à la vigne qu'au chai (avec quelques conflits avec Alphonse Jacquesson lorsqu'on en vient à la paternité de certaines inventions).
Le problème est que je n'ai pas de Jacquesson en cave, pour accompagner ce billet : je l'ai déjà dit par ailleurs, en Champagne j'oscille - pour l'essentiel - entre le Brut Nature de Drappier et le Royale Réserve Non Dosé de Philiponnat.
Alors profiter de mes quelques années d'arboriculture puis de vente de fruits à Rungis pour parler de la poire Guyot ?
Parler de poire ?
Didier aurait pu mal le prendre.
Et ce même si c'est nous que les bourguignons ont tendance à prendre pour des poires lorsque, profitant de l'exil puis de l'inhumation du grand Jules à Savigny, ils l'annexent et le naturalisent bourguignon.
Car l'Institut Jules Guyot est bourguignon !
On peut toutefois se poser quelques questions légitimes sur le cursus suivi par les étudiants de cet Institut (il se trouve que j'en connais quelques thésards) ... enfin, surtout si l'on s'intéresse à l'un des derniers ouvrages de Jules Guyot. A ma connaissance le seul qui soit paru à titre posthume.
En effet : s'il fut écrit - semble -t'il - en 1859, c'est en 1882 (donc 10 ans après la mort de Jules Guyot) que parut le
"Bréviaire de l'amour expérimental".
Ce petit livre par la taille (mais, en matière de littérature, la taille ne compte pas) est un réjouissant opuscule dans lequel le Docteur (en médecine) Jules Guyot dévoile des talents et des savoirs cachés.
Le discours de Jules Guyot est découpé en 12 "méditations".
Après avoir commencé par un plaidoyer pour le mariage, le mariage d'amour, le mariage d'amour qui mêne à la création d'une famille, dès sa "seconde méditation" : "La manière d'habiter et de faire génération", il enfonce le clou et donne le ton en citant Ambroise Paré (dans "de la génération de l'homme" (1573)) :
"L'homme estant couché avec sa compagne et espouse, la doit mignarder, chatoüiller, caresser et esmouvoir, s'il trouvoit qu'elle fut dure à l'esperon, et le cultiveur n'entrera das le champ de Nature humaine à l'estourdy sans que premièrement n'ait fait ses approches, afin qu'elle soit esguillonnée et titillé, tant qu'elle soit esprise du desir du masle, et que l'eau lui en vienne à la bouche, afin qu'elle prenne volonté et appetit d'habiter et faire une petite créature de Dieu, et que les deux semences se puissent rencontrer ensemble, car aucunes femmes ne sont pas si promptes à ce jeu que les hommes."Selon Guyot, dans la "troisième méditation" :
"La conception et la grossesse sont la conséquence possible, l'objet principal que se propose la nature ; mais elles ne constituent pas la fonction génératrice proprement dite. L'homme excrète le fluide vivant. La femme produit les ovules sous des impressions voluptueuses qui s'élèvent aux plus hautes régions de l'enivrement, pour laisser retomber brusquement l'organisation dans un état d'épuisement et de prostration. A ce moment, la fonction est complète, le besoin est satisfait, le sens est éteint.La "quatrième méditation" est l'occasion d'être encore plus précis sur le "spasme génésique" des deux partenaires, et surtout pour souhaiter qu'il soit simultané :
Cette catastrophe fonctionnelle est une véritable convulsion générale et critique que nous désignerons sous le nom de spasme génésique. Tant que le spasme n'est pas déterminé, la fonction n'est pas accomplie .../..."
"Cette simultanéité, très rare, est la perfection naturelle de la fonction et de la sensation. Ils peuvent l'éprouver successivement l'un par l'autre. C'est la satisfaction artificielle nécessaire à défaut de simultanéité. Ils peuvent encore l'obtenir l'un sans l'autre, ce qui est contraire à la nature et à l'hygiène du mariage."La "cinquième méditation" mets les points sur les "I" :
"Il n'existe pas de femme sans besoin ; il n'existe pas de femme privée de sens ; il n'en existe pas d'impuissante au sens génésique.La "sixième méditation" entre dans le vif du sujet (ou plutôt indique comment y entrer) et déplore l'étendue des dégâts :
Mais, en revanche, il existe un nombre immense d'ignorants, d'égoïstes, de brutaux, qui ne se donnent pas la peine d'étudier l'instrument que Dieu leur a confié, ou qui ne se doutent pas qu'il est nécessaire de l'étudier pour en tirer les moindres accords."
"Aussi la théologie - en vue de la conception, il est vrai, plutôt qu'en vue de la satisfaction des sens - autorise-t'elle l'épouse à compléter elle même la fonction, c'est à dire à se donner le spasme génésique."et, plus loin, après avoir donné quelques conseils éclairés (et d'une extrême précision) à ses lecteurs et lectrices sur les modalités opératoires pour "compléter" efficacement "la fonction" :
"Tout homme, tout époux qui procède dans l'ignorance de ces dispositions, est ridicule et méprisable.La "septième méditation" ?
Tout homme, tout époux qui, les connaissant, ose les braver, commet un attentat à la pudeur.
Toute femme qui, sans amour, sans désir, sans besoin, provoque les instincts de l'homme, est une prostituée.
Toute épouse incomprise qui sert passivement d'instrument fonctionnel à son époux, est à la fois sainte et martyre ; mais son époux demeure un égoïste ou un sot."
La septième méditation débute ainsi :
Mes lecteurs (mariés) qui souhaiteraient savoir la suite peuvent m'en faire la demande.
Bien sûr au risque d'avouer, ainsi, qu'ils ont jusque là été des égoïstes et/ou des sots.
Après cela, vient le temps de la "huitième méditation" : "les symphonies conjugales de l'amour", puis de la "neuvième méditation" : "l'épouse incomprise et le mari battu".
La "dixième méditation" ("Hygiène physique et morale de l'amour") commence par faire dans la dentelle :
"La morale et la religion, non plus que la physiologie, n'exigent pas que l'époux soit un artiste consommé. Mais elles prétendent qu'il sache au moins exécuter le thème essentiel et fondamental."puis :
"Oui, l'exercice du sens génésiaque et sa complète satisfaction sont un besoin, une nécessité fonctionnelle, indispensables à l'homme femelle comme à l'homme mâle, dans l'état de mariage, indépendamment de la fonction génératrice."La suite logique, la "onzième méditation", est "la fécondation de l'épouse".
Quant à la douzième, elle coule de source :
Bref, ce bouquin est réjouissant à plus d'un titre.
J'ai toutefois un regret.
Un seul !
Mon seul regret à propos de ce bouquin ?
Sur mes exemplaires de l'"Étude des vignobles de France, pour servir à l'enseignement mutuel de la viticulture et de la vinification françaises", dans l'édition originale, il y a des envois autographes de la main de Jules Guyot.
Il s'y adresse à Théodore Serre (probablement l'auteur de "l'impôt des boissons", paru en 1850), et dans l'un des envois indique que selon lui ce dernier "soutient les vrais principes de la viticulture intelligente".
Si j'ai le plaisir de posséder l'édition originale du "Bréviaire de l'amour expérimental", ce livre ayant été publié à titre posthume il est impossible que Guyot l'ait adressé à qui que ce soit qui ait tout compris des vrais principes du spasme génésique.
J'aurais pourtant aimé y lire cet hommage de l'auteur (et le nom de son destinataire)