Madiba est une nouvelle fiction composée de trois téléfilms qui ont été diffusés à partir du 1er février sur les ondes de BET aux États-Unis. Madiba, c’est le nom de naissance de Nelson Mandela (Laurence Fishburne) dont on suit le parcours, de sa prime enfance à Mvezo jusqu’à ce qu’il devienne le premier président noir de l’Afrique du Sud en 1994. Le chemin est évidemment semé d’embuches, autant au niveau de sa vie professionnelle que personnelle. Série dont l’un des producteurs exécutifs n’est nul autre que Kweku Mandela, le petit-fils de l’homme politique, Madiba, c’est un projet audacieux qui nous prouve que la chaîne BET n’est pas à prendre à la légère. C’est d’abord une mise en scène soignée et ensuite un scénario qui privilégie le concept du « nous » et non du « je » qui retiennent notre attention dans cette reconstitution historique. Et même si en cours de route plusieurs irritants s’accumulent, on ne peut s’empêcher de poursuivre la série jusqu’à la fin.
Une majorité minoritaire
Dans Madiba, l’on remonte aussi loin qu’à 1927 alors que le jeune homme n’a que 9 ans et qu’il est confié par sa mère à une famille d’adoption qui aura les moyens de lui payer une éducation. Une fois que l’on a « anglicisé » son nom pour Nelson, celui-ci devient rapidement premier de classe et bientôt un avocat réputé. En compagnie de son ami Oliver Tambo (Orlando Jones), il ouvre un bureau en périphérie de Johannesburg qui vient en aide aux laissés pour compte de la société : des noirs évidemment. Ce n’est que quelques années plus tard qu’il rejoint l’ANC (African National Congress), un parti politique dont il deviendra le président et qui a pour but premier de mettre fin à l’apartheid qui fut conceptualisé et introduit en 1948. Pourtant, ce groupe qui se veut pacifiste en dérange beaucoup au gouvernement, d’autant plus que les grèves dans les plus pauvres townships se multiplient. Le premier ministre Henrik Verwoed en place ne cède pas d’un pouce et pire encore, accepte que l’on tire sur les foules… jusqu’à ce qu’il soit assassiné lui-même. Éventuellement, Mandela est condamné à la prison à vie à Robben Island où il y restera pendant près de 30 ans. La fièvre politique ne se calme pas pour autant et l’Afrique du Sud subit durement les sanctions économiques de pays comme les États-Unis et l’Angleterre. Bientôt, c’est le monde entier qui manifeste pour la libération de son « prophète », ce qui sera éventuellement chose faite.
Dans la plupart des biopics, le danger est de tomber dans un genre de sacralisation du sujet dépeint. C’était le cas notamment avec Harley and the Davidson où l’inventeur des célèbres motocyclettes avait une confiance un peu trop inébranlable dans son produit. Dans Tutankhamun, on y allait de façon plus sobre, mais le fait est que dans le cas de Bill Harley, tout comme dans celui de Howard Carter, on mettait systématiquement leurs défauts sur la sellette. Au final, on avait envie de se retourner vers d’autres sources d’informations une fois les séries terminées pour en apprendre davantage sur les zones grises.
En ce sens, Madiba évite prudemment de sacraliser son sujet en donnant plus de place à ses coéquipiers. Ruth First (Kate Liquorish), Joe Slovo (Jason Kennett), Ahmed Kathrada (Meren Reddy), Walter Sisulu (David Harewood): sans eux, jamais l’avocat ne se serait transformé en homme politique de premier plan. De plus, le personnage est plus complexe qu’on pourrait le croire. À trop s’investir dans son parti, il néglige sa famille qui souffre de ses absences répétées. Lorsqu’il réalise que son mouvement pacifique ne parvient pas à faire changer le cours de l’histoire de son pays, il doit se résoudre à donner son aval à plusieurs attaques violentes. En même temps, Mandela n’est pas un génie de la politique, mais plutôt un éternel optimiste qui croit à la concrétisation de ses rêves. Son « intermède » en prison nous le prouve bien. En effet, afin de voir ses conditions de détention s’améliorer, il s’adresse aussi respectueusement qu’amicalement avec ses geôliers, ce qui portera ses fruits puisque l’un d’eux (Christiaan Schoombie) ira même éventuellement rencontrer la chef de parti de l’opposition au parlement qui elle, fera bouger les choses.
D’un autre côté, on déplore le manque d’exemples concrets de servitude dans laquelle se retrouve la population noire. À un moment, on a bien un mineur qui à bout de force se fait tabasser par un garde blanc. Et à de multiples reprises, on voit des militaires tirer sur des manifestants non armés, mais il s’agit là de généralités dépeintes dans toutes les fictions voulant représenter une révolution quelconque. En somme, les enjeux ne sont pas assez « sud-africanisés » et l’on ne peut que déplorer l’arrivée tardive d’images d’archives (au dernier épisode surtout) qui utilisées dès le début auraient rendu la difficile situation politique du pays beaucoup plus concrète. Par exemple, ces enregistrements où l’on voit des populations du monde entier manifester pour la libéralisation d’un seul homme avant même l’arrivée des réseaux sociaux a quelque chose d’émouvant et l’on aurait aimé avoir davantage de contenu de ce genre.
Un joueur à prendre au sérieux
BET vise d’abord et avant tout à rejoindre les téléspectateurs afro-américains, mais avec la multiplication des chaînes câblées, comment se démarquer dans le marché sériel ? Par exemple, rien qu’en 2016, la chaîne d’Oprah Winfrey, Own a lancé deux séries avec un casting à majorité noire (Queen Sugar et Greenleaf). Même les Networks s’y sont mis depuis quelques années avec des fictions qui performent très bien à l’audimat comme Empire à Fox ou encore Scandal et How to Get Away With Murder dans le cadre du TGIT d’ABC en plus de Black-Ish. Avec seulement cinq séries originales, BET n’est pas de taille à entrer en compétition avec ces conglomérats, mais s’en tire admirablement bien. Being Mary Jane est déjà renouvelée pour une cinquième saison tandis que The New Edition Story, malgré ses lacunes scénaristiques a tout de même brisé les records avec une audience de 29 millions de téléspectateurs (en incluant les reprises). Mais c’est aussi en s’éloignant du feuilleton traditionnel et en voyageant que la chaîne acquiert tranquillement, mais sûrement ses lettres de noblesse. The Book of Negroes qui au début 2015 a été coproduite avec CBC au Canada était de taille à rivaliser avec Roots, présentée plus d’un an après par History Channel. Avec Madiba, on s’envole vers un autre continent et les moyens qui y sont déployés pour la recréation d’époque, les prises de vues et le recrutement d’acteurs de haut niveau ont de quoi faire rougir la compétition.
Malheureusement, au niveau des cotes d’écoute, ç’aurait pu être mieux. Le premier épisode de Madiba a rassemblé 497 000 téléspectateurs avec un taux de 0,16 chez les 18-49 ans. Pour sa finale, 268 000 étaient toujours fidèles au poste avec un taux réduit de moitié à 0,08. Nul doute que BET attirera un bassin d’auditoire plus large avec la série policière Rebel attendue le 28 mars. Par contre, si la chaîne parvient à garder cet équilibre entre le populaire et d’autres productions plus audacieuses, succès et estime devraient être au rendez-vous.
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