The Moorside est une nouvelle minisérie de deux épisodes qui a été diffusée les 7 et 14 février sur les ondes de BBC One en Angleterre. L’action débute le 19 février 2008 après que la petite Shannon Matthews ait été portée disparue par sa mère. Dès lors, la communauté de Dewsbury dans West Yorkshire se rassemble sous les encouragements de Julie Bushby (Sheridan Smith) qui ne perd pas espoir de retrouver la fillette. L’enquête, de son côté, progresse à pas de tortue, mais l’issue de celle-ci en bouleversera plus d’un. Inspirée d’une histoire réelle, il est pertinent dans un premier temps de se questionner sur l’utilité d’une telle série sur les ondes du diffuseur public. En effet, à première vue, la BBC nous donne l’impression de suivre la mode télévisuelle en cassant du sucre sur le dos des défavorisés afin de récolter un audimat digne de ce nom. Pourtant, il est important de relativiser cette théorie puisqu’au contraire, la nouveauté de la chaîne choisit habillement de nous raconter un autre point de vue hautement plus intéressant et moins voyeuriste.
Une histoire « croustillante »
Dès les premières scènes, l’on voit la mère de Shannon, Karen (Gemma Whelan) en larmes accompagnée de la gardienne Natalie (Sian Brooke) et Julie qui sont là pour la réconforter. La police déclenche une enquête avec à sa tête la détective Christine Freeman (Siobahn Finneram), mais les effectifs ne sont pas assez nombreux si bien que Julie décide de prendre l’opération en main. Elle rassemble la communauté qui effectue des battues, distribue des tracts, imprime des chandails contenant la photo de Shannon et parle aux médias… En vain. C’est que les jours s’écoulent et toujours rien, si ce n’est que l’on procède à l’arrestation de Craig (Tom Hanson), le petit ami de Karen et beau-père de Shannon pour possession de pornographie juvénile. Enfin, 24 jours plus tard exactement, la fillette est retrouvée en pleine forme chez son oncle Michael Donovan (Sam Chapman). Interrogé, il avoue que c’est lui et sa belle-sœur Karen qui ont tout inventé depuis le début en espérant toucher l’argent de la prime offerte par les médias. Sa complice a beau tout nier dans un premier temps, elle est finalement démasquée et c’est tout Dewsbury qui est rouge de honte. Julie ne fait pas partie de tous ceux qui lui tournent le dos puisqu’elle cherche d’abord et avant tout à comprendre. La mère de Shannon a beau s’empêtrer dans une nouvelle histoire chaque fois qu’on la questionne, la culpabilité prononcée par le jury est sans appel et elle est condamnée à 8 ans de prison.
Dès la première journée de « l’enlèvement » de Shannon Matthew, un cercle médiatique difficile à contrôler s’est mis en place. Et tout comme The Moorside, on peut diviser la chronologie des événements en deux temps : la recherche de la fillette et la découverte du pot aux roses. Dans un premier temps, les différents conglomérats de nouvelles ont se sont livrés à une féroce compétition et comme Karen l’avait prédit, c’est de l’un de ceux-ci qui a proposé une somme substantielle. En effet, The Sun a offert 20 000£, puis 50 00£ à quiconque aurait des informations sur le kidnapping. Le drame attire de l’audience et lorsque la BBC a diffusé un documentaire intitulé « Shannon : The Mother of All Lies » la nuit où le verdict de culpabilité de sa mère a été rendu, ce sont 5,6 millions de téléspectateurs qui répondaient à l’appel.
La vraie Karen Matthews
Mais toute cette histoire a aussi rejoint la classe politique dans un débat peu glorieux. C’est que dans les années 70, le gouvernement s’est mis à distribuer aux plus défavorisés des allocations familiales, ce qui selon certains a contribué à créer une réelle culture de la paresse chez les plus démunis, Karen étant son porte-étendard. Si les préjugés envers les assistés sociaux n’ont jamais cessé, ils semblent avoir trouvé leur apogée ces dernières années « grâce » à des émissions de télé-réalité telle Benefits Street sur Channel 4. Dans celle-ci, on nous montrait des assistés sociaux se complaire dans leur oisiveté. Là encore, une partie de la classe dirigeante est montée aux barricades : d’une part, certains ont accusé la chaîne de donner dans la « pornographie de la pauvreté », tandis que d’autre part, d’autres ont suggéré d’aller jusqu’à réduire les allocations de ces « profiteurs » du système… comme si quelques sujets d’une émission représentaient l’ensemble d’une classe de la société.
Malgré toutes les critiques, ce sont surtout les juteuses audiences de la variété de Channel 4 qui ont retenu l’attention des diffuseurs, si bien que le concept a rapidement trouvé preneur dans de multiples marchés européens et même en Australie avec Struggle Street sur SBS One; une chaîne publique financée par le gouvernement…
Et arrive The Moorside…
Dans ce concept qui vient renforcer les préjugés plutôt que d’informer son auditoire, on peut comprendre le tollé qui a suivi après l’annonce de la BBC de remettre au goût du jour cette histoire qui n’a même pas dix ans, d’autant plus que les cicatrices sont encore vives au sein de la communauté. Et bien que Karen et Shannon aient légalement changé de nom, le fait que cette dernière ait omise de l’informer de la création de la série a suffi à enflammer le débat autour du mandat de la télévision « grassement subventionnée » par les citoyens.
Il faut donner crédit à la série, ne serait-ce que pour le point de vue qu’elle a préconisé. Dans sa structure, ce fait divers aurait fait une haletante histoire policière, commençant par l’enquête, puis l’interrogatoire et la sentence. Pourtant, The Moorside ignore tout simplement cette avenue et on peut compter le nombre de plans où l’on voit la petite Shannon (de dos) sur les doigts d’une main. En effet, toute cette histoire nous est racontée à travers les yeux de Julie qui nous émeut avec son optimisme sans failles et son habileté lors des battues à mettre à contribution la communauté, laquelle ne demande que ça d’ailleurs. Pourtant, celle-ci est aussi démunie que Karen et lors du retournement de situation, on est à même de comprendre sa déception, voir, son humiliation après que l’affreuse vérité n’éclate. Mention honorable ici concernant la mise en scène qui vient accentuer ce désespoir avec son style « vérité ». En effet, l’on remarque la caméra qui se déplace en même temps que ses sujets, comme s’il s’agissait d’un documentaire. En ajoutant au bas de l’écran le nombre de jours qui s’accumulent suivant la disparition et l’absence de maquillage du côté des acteurs, l’impression de réalisme est atteinte.
Du point de vue de la métaphore, l’on remarque tout au long de la série que les protagonistes entrent chez les autres sans même cogner, comme quoi la proximité et la confiance définissent cette communauté qui n’a pas grand-chose à offrir, mais solidaire. À la toute fin par contre, Natalie sort de chez elle et verrouille sa porte…
En nous offrant un autre point de vue, moins voyeur et plus communautaire, on ne peut que se réjouir des cotes d’écoute. En effet, le premier épisode de The Moorside a attiré 9,9 millions de téléspectateurs, ce qui en fait la série télévisée la plus regardée de la BBC depuis que son audimat est compilé, il y a de cela 15 ans. Le second épisode quant à lui a été regardé pas 7,2 millions et a dominé la soirée avec une part de marché de 34 %.
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