L’Ineffacé
L’IMEC est un très grand centre d’archives, installé non loin de Caen, en Normandie, sur la commune de Saint-Germain-La-Blanche-Herbe, sur le site d’une ancienne abbaye, l’Abbaye d’Ardenne. Fondée au XIIème siècle, restaurée et complétée de bâtiments modernes, elle abrite aujourd’hui une des collections d’archives les plus réputées d’Europe. Dorment ici plus de 600 fonds de créateurs et d’intellectuels contemporains. À titre d’exemples, parmi de très nombreux autres, on peut citer Hélène Bessette, Yves Bonnefoy, Roger Blin, Cornelius Castoriadis, Michel Deguy, Jacques Doucet, Claude Esteban, Jean Genet, Alain Jouffroy, Emmanuel Levinas, Henri Meschonnic, Maurice Roche, Claude Vigée, Kenneth White. Cela pour les auteurs mais il y là aussi des fonds d’éditeur (P.O.L. par exemple), d’institutions ou de revues (Change, Tel Quel, etc…)
On peut accéder à cette liste impressionnante, dont chaque item est cliquable et ouvre sur la fiche du fonds concerné. On apprend ainsi que le fonds Anne-Marie Albiach compte 35 boîtes d’archives.
Poezibao renvoie à cet enregistrement audio du début du très beau texte que Jean-Christophe Bailly donne en tête du catalogue de l’exposition en cours.
En effet l’IMEC s’est doté d’une nouvelle surface d’exposition La Nef, en transformant un ancien corps de ferme (voir cet article des Carnets de l’IMEC) et va y proposer régulièrement des expositions conçues à partir de ses collections.
Chaque exposition sera confiée à un commissaire différent, à charge pour lui d’inventer un thème et de monter une exposition à partir des archives du centre.
C’est Jean-Christophe Bailly qui a inauguré la formule avec une superbe exposition, sur le thème de L’Ineffacé : « Entre un document de la taille d’une vignette et une surface écrite grande comme une chambre, entre le scénario complet d’un film jamais tourné et le graphique d’un pas de danse, entre une écriture régulière et un buissonnement de ratures, l’exposition L’Ineffacé offre une traversée de la création et de la pensée du XXe siècle, révélée au détour d’une esquisse, d’une empreinte incertaine, d’une ligne qui insiste. »
Ce qu’on découvre là ce sont en effet des esquisses, des brouillons, des carnets, des ébauches de projets, des paperolles et des croquis, tout un monde de papier, reflet du travail de pensée de grands créateurs, écrivains comme Paul Celan, Marguerite Duras, Jean Paulhan, Philippe Lacoue-Labarthe, Hubert Lucot (dont il faut signaler la présence tout à fait exceptionnelle du Grand Graphe), mais aussi hommes de théâtre comme Audiberti ou Bernard-Marie Koltès, chorégraphes comme Dominique Bagouet ou Merce Cunningham, philosophes comme Jacques Derrida ou Emmanuel Levinas
Présentés dans une semi-pénombre, pour des raisons de conservation, mais néanmoins très lisibles, les documents sont distribués par ensemble, introduits par des cartels explicites. C’est que Jean-Christophe Bailly a voulu aussi éditorialiser l’exposition, y provoquer des rencontres, parfois intrigantes. Telle celle qui le fait partir de dessins d’enfants Guyaqui (Amérique du Sud) à des relevés faits par Fernand Deligny, autres enfants, autres dessins, en passant par des petits croquis d’un très vieux monsieur, Philippe Soupault.
Les archives dorment jusqu’à ce qu’on les sorte de leur sommeil, explique Jean-Christophe Bailly dans le texte passionnant du catalogue. Et les réveiller ce n’est pas seulement les tirer de leurs boîtes, au hasard, c’est chercher au travers des rayons et des fonds des chemins, opérer des rapprochements, susciter du nouveau à partir de ces dépôts d’ancien (il faut rappeler que Jean-Christophe Bailly fait partie de ceux qui sont proches des méthodes du grand iconographe allemand, Aby Warburg qu’ils ont remis sur le devant de la scène).
On se promène d’écriture en écriture : ici les petits feuillets vert vif porteurs de la minuscule et si régulière écriture de Philippe Lacoue-Labarthe, là les carnets de Jacques Derrida, ici Audiberti écrivant, faute d’autre papier, sur des chutes de papier peint pris dans le stock de son père, maçon, pendant la guerre, ou le grand carnet de notes sur le Japon de Robert Pinguet ; voici un tapuscrit de Paul Celan avec une tentative de traduction, au crayon, par lui-même, de l’allemand vers le français ; des dessins et fragments de partition d’Erik Satie ; la centaine de tentatives, sur un seul feuillet, recherches de titre pour La Rage de l’expression par Francis Ponge ; un « tas de feuille » de Christophe Tarkos, etc. (liste des auteurs de l’exposition ici)
L’exposition est accompagnée d’un livre où sont reproduites toutes les œuvres choisies par Jean-Christophe Bailly.
Ressources
On peut lire ici :
• Un article sur le chantier du nouvel espace d’exposition.
• Un entretien avec Jean-Christophe Bailly (à partir de la page 13)
• Une description du livre-catalogue de l’exposition (à partir de la page 25)
On peut aussi
Ecouter la première page du texte de Jean-Christophe Bailly
Voir une courte intervention de JC Bailly qui présente l’exposition
Illustrations
en haut, le nouvel espace d'exposition, photo © Antoine Cardi
au milieu, Francis Ponge, recherche d'un titre pour La Rage de l'expression, fonds Jean Paulhan, IMEC, photo © M. Quemener
En bas, couverture du livre-catalogue de l'exposition