En sortant du cinéma, une seule question trotte dans mon esprit : comment est-ce que tout cela a été possible au XXe siècle ? Ce n'est pas si loin. Comment est-ce que le simple fait de se marier et d'avoir des enfants avec un conjoint de différente " race " a pu être interdit constitutionnellement dans une quinzaine d'États nord-américains ? Je ne parviens pas à ma détacher de cette plaie béante de l'histoire des États-Unis : la question des races, toujours facteur d'inégalités et de troubles majeurs à notre époque. Pourtant, Loving ne se passe pas en 2017, mais plus de 50 ans auparavant. Comme quoi...
La love story des Loving
L'histoire de Loving est fondée sur l'histoire vraie de Richard et Mildred Loving dans les années 1950-1960 en Virginie. Richard (Joel Edgerton) est blanc, Mildred (Ruth Negga) est noire. Ils s'aiment au sein de leur communauté mélangée, tout va bien. Mildred tombe enceinte, le couple est ravi. Richard et Mildred partent se marier discrètement dans l'État de Washington pour " simplifier " la démarche. Car en Virginie, le mariage interracial est interdit. Quelques temps après, et malgré leur certificat de mariage encadré et accroché fièrement dans leur chambre à coucher, le couple se fait appréhender une première fois. Le début d'un long chemin de croix pour la défense pacifique de leurs droits civiques, dans un État qui ne leur reconnait pas le droit de vivre ensemble.
Un biopic historique diffus
Loving qui faisait partie de la sélection du Festival de Cannes est sorti près de neuf mois après pour le grand public, et m'a laissé dans un état d'esprit mitigé. Assez long (plus de 2h), le film de Jeff Nichols met en image assez furtivement les grand événements de la vie des Loving. Le " cas " du couple Loving, qui a vraiment existé, a permis en 1967 de rendre anticonstitutionnelle la loi qui interdisait le mariage entre les gens de différentes races/couleurs, malgré les mélanges qui étaient tolérés tant qu'ils n'allaient pas plus loin.
Seulement, il est difficile de passer plus de 10 ans de vie commune en quelques heures de bobines. De fait, on a très vite l'impression de regarder une chronologie furtive de la vie des Loving malgré le remaniement scénaristique opéré par le réalisateur dans leur histoire. Tout est un peu expéditif. Dès les premières secondes, Mildred annonce à Richard qu'elle est enceinte. Puis, ils retournent travailler, dans les champs pour elle, sur un chantier pour lui. Puis ils se retrouvent et il lui montre l'emplacement de la maison qu'il veut construire pour elle, à 800 mètres de là où elle a grandi. Puis il la demande en mariage. Puis ils partent se marier. Puis ils reviennent et se font arrêter. Les scènes s'enchaînent, et on peine un peu à s'attacher au couple.
Passive ou complètement déconcertée ? On imagine un peu des deux dans l'attitude des Loving qui, pour éviter une peine de prison, doivent accepter la sentence du juge de leur county qui leur interdit de rester et vivre en Virginie pendant une durée de 25 ans.
Une histoire d'amour trop cinématographique ?
L'image est légèrement saturée et les plans assez classiques. Les dialogues pas transcendants, mais il y a de beaux regards. Après quelques salves de beaux décors, le réalisateur se concentre sur ses deux personnages principaux, la belle et paisible " Brindille " (Mildred) et Rich' et ses côtés white trash. La caméra les suit dans leur quotidien paisible : leur vie à Washington où ils élèvent leurs enfants " à la ville ", l'éloignement avec leur famille, les petites frictions dès lors que Mildred accepte les services d'un jeune avocat travaillant pour l'ACRU (Americain Civil Rights Union) missionné par Bobby Kennedy après que Mildred lui a envoyé une lettre expliquant leur cas. Il faut du temps pour comprendre où veut en venir Jeff Nichols. Il tente même de contourner les clichés faciles d'un film traitant des inégalités raciales : non les flics ne sont pas violents ni véreux, non le juge n'est pas un gros sadique raciste (juste un conservateur vieille école), non les avocats ne sont pas là juste pour dorer leur image... Mais c'est long et laborieux.
Comme Selma, Twelve Years As a Slave, ou plus récemment The Birth of a Nation, le sujet porté à l'image part de bonnes intentions. Il a le mérite de faire réfléchir. Le sujet est fort, le propos est intéressant. L'amour des tendres Loving, vs l'injustice. Les acteurs sont bons dans la retenue, mais le réalisateur ne leur laisse pas assez de place à mon goût. Malgré toutes ces bonnes intentions, on se noie trop facilement dans une narration poussive. C'est dommage, car la vie des Loving était une aubaine cinématographique.
► Loving de Jeff Nichols, avec Ruth Negga, Joel Edgerton. En salles.
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