Pourquoi devons-nous tous avoir un accès équitable aux soins de santé? Les réponses varient. Peut-être que c'est simplement un droit, d'avoir accès aux moyens de la médecine quand on est malade et qu'on en a besoin. Peut-être sommes-nous simplement des gens bien, ou alors nous reconnaissons les déclarations de l'OMS, et les textes de droit international qui semblent bel et bien garantir une forme de droit à la santé. Peut-être, si nous voulons être plus précis, qu'en fait le droit d'accès aux soins de santé est ancré dans une idée politique plus large. Nous reconnaissons dans nos sociétés l'importance de l'égalité d'opportunité. Chacun doit avoir accès à un éventail suffisant de futurs ouverts. Les métiers, les positions sociales, doivent être ouvertes au mérite. Chacun doit pouvoir faire des choix, s'investir, et avoir sa chance. Or justement, la maladie, ça ferme des portes. Si nous pensons que chacun doit avoir accès à des futurs ouverts, alors nous devons faire ce que nous pouvons pour écarter la maladie des malades: donner accès à la médecine. Ainsi argumentait le philosophe américain Norman Daniels dans les années 80. Finalement, avoir une assurance c'est prudent. Les coûts de notre santé individuelle, on ne sait pas les prévoir. Si on se met tous ensemble, en revanche, là on peut prévoir les coûts et les partager.
En Suisse, l'accès aux soins, on a. C'est donc que l'on accepte ces arguments. Il y a cependant deux hics. Le premier c'est que les coûts-patients sont assez élevés pour annuler l'accès aux soins pour une partie de la population. Pas un détail, ça. Le deuxième hic, c'est les soins dentaires. Pas couverts. L'accès à la médecine, on y croit, mais apparemment l'accès à la médecine dentaire on n'y croit pas.
Pourquoi? En fait, la vraie raison est probablement très pragmatique. Être couvert par l'assurance maladie, ça veut aussi dire subir un droit de regard. Pas dit que nos collègues dentistes aient voulu de cela à l'heure où nos collègues médecins l'ont accepté.
Si on examine les arguments pour l'accès aux soins tout court, cela dit, eh bien ils marchent aussi pour les soins dentaires. Avoir de mauvaises dents, pour commencer, c'est mauvais pour la santé du corps entier. Ensuite, avoir des dents laides ou manquantes, ça aussi ça ferme des portes. Si cela arrive quand on est jeune et qu'on cherche son premier emploi, la bifurcation qui sera prise peut affecter ensuite le reste de l'existence. Bon, il y a quand même une raison de ne pas couvrir les soins dentaires me direz-vous peut-être: la prévention fonctionne et il suffit de bien se soigner les dents! Sauf que...la prévention passe elle aussi par la case du dentiste. Sans moyens suffisants, pas de contrôle et pas de détartrage, pas de prévention véritablement efficace donc.
Vu comme ça, la proposition vaudoise de payer une partie des frais dentaires en taxant les sodas, c'est vraiment une excellente idée. Si en plus un des résultats était de faire baisser la consommation de sodas, pour la santé ce serait évidemment très bien aussi. Et comme le projet prévoit une taxe à la consommation, elle pèserait plus lourd sur les petits budgets. Horreur, me direz-vous! Sauf qu'il s'agit d'un produit clairement nocif et dont la consommation est entièrement facultative. Un effet plus lourd sur les personnes de revenu modeste aurait pour effet une protection plus grande de leur santé par rapport aux autres groupes sociaux. Paternaliste? Peut-être. Mais si c'est si terrible de vouloir orienter les choix des personnes à coup de moyens financiers, vous me rappelez pourquoi on tient tellement à ce que les coûts patients soient aussi élevés dans notre système de santé?