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Le troisième héritage (8). Quand la Méditerranée était un lac musulman

Par Roger Garaudy A Contre-Nuit

Le troisième héritage (8). Quand la Méditerranée était un lac musulmanSuite et fin de la publication de l'Introduction du livre de Roger Garaudy "Promesses de l'islam".
La préface du livre, écrite par Mr Mohammed Bedjaoui, peut être lue à: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2014/02/islam-et-dialogue-des-civilisations.html
Luc Collès, que je salue, a publié une analyse de ce livre dans un cadre universitaire: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2013/03/enseignement-pour-une-approche-de.html[A.R]

Il convient même de rappeler que cette tolérance de l'Islam n'était

pas sans péril pour la pureté de la foi. Ainsi, lorsqu'à partir de 661, la

dynastie omeyyade s'empare du califat et qu'elle s'installe à Damas,

non seulement elle s'imprègne de l'influence de l'Empire romain de

Byzance et en adopte les structures et les hiérarchies, mais un

tournant dangereux s'opère dans l'histoire de l'Islam : après les quatre

premiers califes " bien guidés ", tous anciens compagnons du Prophète,

Abu Bakr, Omar, Uthman et Ali les Omeyyades s'intéressent

beaucoup plus au pouvoir politique pour lui-même qu'à sa signification

religieuse; et cette séparation est déjà rupture avec l'esprit

En outre, après le transfert du califat, de l'austère Arabie du Nord

au luxe byzantin de Damas, d'autres moeurs se répandent. Les

distributions de terres aux dirigeants arabes se multiplient dans les

territoires occupés : de grands domaines se constituent au profit de

citadins arabes vivant grâce aux revenus que leur procurent leurs

fermiers indigènes. Les impôts des non-musulmans s'alourdissent. Les

monnaies d'or et d'argent des anciens Empires de Byzance et de Perse

sont frappées par les nouveaux maîtres qui, au mépris des principes

de l'Islam, instituent une dynastie de princes héréditaires. Avec

les Omeyyades, le califat islamique s'était transformé en empire

A partir de la cour fastueuse de Damas, où affluaient toutes les

richesses des pays conquis, les étoffes et les vins comme les esclaves et

les oeuvres d'art, l'expansion se poursuivit selon trois axes principaux :

l'Asie Mineure, où trois sièges de Constantinople se soldèrent par des

échecs ; l'Asie centrale, où furent conquis l'Afghanistan en l'an 700,

puis Boukahra (706-709), le Khoresme et Samarcande (710-712) et le

Ferghana (713-714). A u sud, les généraux arabes atteignirent l'Indus

en 711, l'Afrique du Nord et l'Espagne : un camp militaire fut créé à

Kairouan en 670, Carthage fut prise en 698, le Maroc en 708. En mai

711, un général arabe, Tariq, passait en Espagne et, à la tête de

chrétiens dissidents, occupait Cordoue puis Tolède. En 732, un

commando d'Abd al-Rahmân, vraisemblablement au retour d'un raid

sur Saint-Martin-de-Tours, se heurtait, à Poitiers, à l'armée de

Charles Martel, ce qui marqua la limite extrême de l'avancée

musulmane en direction du nord de la Gaule, bien que, dans les

années qui suivirent, les Arabes aient atteint Narbonne, la vallée du

Rhône et la Provence méditerranéenne.

Anatole France, dans la Vie en fleur, marque avec humour la

signification de cette bataille de Poitiers dont l'histoire occidentale a

voulu faire un symbole de l'affrontement entre l'Orient et l'Occident

comme autrefois pour l'escarmouche de Marathon entre les Perses et

les Grecs : " M. Dubois demanda une fois à MmeNozière quel était le

jour le plus néfaste de l'histoire. Mme Nozière ne le savait pas. C'est,

lui dit M. Dubois, le jour de la bataille de Poitiers, quand, en 732, la

science, l'art et la civilisation arabes reculèrent devant la barbarie

La boutade d'Anatole France n'était fausse que sur la chronologie,

car l'épanouissement d'une culture et d'une civilisation spécifiquement

musulmanes ne commença vraiment qu'après la révolution de

750, puisqu'il s'agit bien d'une révolution, et non pas simplement d'un

coup d'Etat ou d'un changement de dynastie.

Avant même la floraison de sa culture propre, l'Islam avait créé les

conditions nécessaires à un renouveau de la civilisation, à l'épanouissement

d'une nouvelle jeunesse du monde.

D'abord en créant, du fait même de l'ampleur de cet empire

naissant, un espace mondial d'échanges commerciaux et culturels, où

allaient se brasser les richesses et les cultures de trois continents :

celles de l'Europe hellénisée et romaine, celles de la profonde Asie,

de l'Iran à l'Inde et à la Chine, celles de l'Afrique.

A cette communauté immense, les musulmans avaient apporté une

langue commune, l'arabe, capable de véhiculer sur tout son territoire

toutes les forces de vie des plus vieilles et des plus riches cultures du

monde ; plus encore, elle leur avait apporté une foi commune en

laquelle chacun, sans renier sa sagesse ou son Dieu, pouvait en

Une telle mutation, touchant à tous les aspects de la civilisation,

faisait éclater les structures anciennes. La vocation universelle de

l'Islam ne pouvait plus s'exprimer seulement à travers la domination

A partir de 750, avec la dynastie des Abbassides, s'affirme une

communauté nouvelle, arabo-musulmane, où les musulmans non

arabes auront leur place à part entière.

La umma, la communauté musulmane (et pas seulement arabe),

retrouve, selon la visée première du Prophète, son fondement

religieux, trop souvent occulté sous la domination unilatéralement

Le califat change de capitale ; en 762, il fonde, comme centre de

l'Empire, Bagdad, sur le Tigre, tout proche de Ctésiphon, l'ancienne

capitale de la Perse sassanide. Il y a là plus qu'un symbole : les

structures politiques et administratives, et les cadres mêmes qui en ont

la charge, sont plus proches de l'ancien Empire iranien que du style

gouvernemental byzantin des Omeyyades.

Cette profonde mutation se manifeste par un changement de la

politique extérieure et intérieure. A l'extérieur, il n'y aura plus

désormais de grande conquête mais seulement une défense des

frontières. En revanche, à l'intérieur de cette aire géographique

immense, une expansion commerciale sans précédent prend son

essor : de Bagdad, les marchands musulmans, par Bassorah, attei-

gnent l'Inde où ils créent des comptoirs et font leur jonction avec les

Par voie de terre, ils établissent des échanges intenses avec la Syrie

et l'Egypte mais aussi, à travers l'Iran, avec l'Asie centrale et la

Enfin, la Méditerranée, où aboutissent les pistes caravanières du

Sahara, après la conquête de la Sicile et de la Crête, devient un lac

musulman. La possession de la boussole et du gouvernail d'étambot

donne aux musulmans, pour plusieurs siècles, une suprématie maritime

absolue. " Pendant toute cette période, écrit Ibn Khaldun, les

musulmans l'emportaient sur la plus grande partie de la Méditerranée.

Leurs flottes y croisaient en tous sens [...] Les chrétiens n'y pouvaient

pas même faire flotter des planches 1 . "

De 750 jusqu'au milieu du XIe siècle, c'est-à-dire jusqu'au moment

où, aux deux pôles de l'Empire, se multiplient les menaces (celles des

Turcs en Iran et à Bagdad, celles des chrétiens en Palestine et en

Espagne, où s'effondre le califat de Cordoue), la domination musulmane

connaît trois siècles d'apogée, apportant, en tous les domaines

de la culture, une première contribution capitale à la civilisation

Avant d'aborder la période moderne où l'Islam sera à la source de

la Renaissance de l'Occident, avant de réaliser sa propre renaissance

et d'ouvrir aujourd'hui un nouvel avenir, nous ferons un bilan de sa

Roger Garaudy. Introduction de " Promesses de l'islam ", Seuil , 1981
(Articles 1 à 8 du blog) pp 17 à 45


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