Bref, Marcel Proust, qui s'est fait connaître quelques années plus tôt par la publication d'un premier livre, Les plaisirs et les jours, il a traduit La Bible d'Amiens, de Ruskin, il publie des articles dans Le Figaro, n'est plus tout à fait n'importe qui mais il n'est pas encore quelqu'un.
Pas encore, et de loin, l'écrivain à qui on consacrera des études en nombre si important que même les spécialistes ne les lisent pas tous. La preuve par la manière dont l'information fournie par le professeur d'université cité plus haut est devenue un scoop international.
Alors que, merci à celles et ceux qui, après coup, ont relevé ce détail qui n'en est pas un, Laure Hillerin, dans un ouvrage paru le 15 octobre 2014, La comtesse Greffulhe, avait déjà signalé l'existence de ces images, sans que personne ne semble à l'époque s'en émouvoir. Le texte est pourtant clair:
Qui est ce jeune homme aux cheveux noirs qui bavarde presque familièrement avec elle et réussit, à deux reprises, à faire jaillir son rire en cascade? C’est Marcel Proust, aimable écrivain mondain à l’audience encore confidentielle, qui se trouve être un ami proche du marié. Peut-être est-ce lui, ce jeune homme en manteau clair, coiffé d’un chapeau melon qui laisse les yeux dans l’ombre, laissant apercevoir la moustache et l’ovale du visage, dévalant précipitamment les marches, doublant le cortège sur le côté droit, afin de rejoindre avant les autres l’éblouissante belle-mère? On le voit quelques secondes sur un film d’amateur – une pellicule de deux minutes à peine, conservée aux Archives françaises du film à Bois-d’Arcy.Et personne, ou presque, n'avait rien vu. Pourquoi? Jacques Drillon esquisse une réponse dans un article de Bibliobs: "elle aurait dû faire connaître sa découverte, dont elle n’a peut-être pas mesuré la puissance émotionnelle, avec toute la solennité médiatique possible." Laure Hillerin, d'une certaine manière, le confirme dans un entretien avec Julia Vergely pour Télérama:
A l’époque, vers 2012 ou 2013, quand j’avais moi-même découvert cette archive lors de mes recherches, ça n’avait pas passionné les foules. J’avais signalé aux conservateurs des Archives françaises du film qu’on y voyait Marcel Proust et ils n’avaient pas plus réagi que cela. Aujourd'hui, je me dis que c’est dommage, que j’aurais dû insister, mais je ne pensais pas que quelques secondes de film mettraient la communauté proustienne à ce point en émoi. Pourtant, quand je fais des conférences, je montre toujours des arrêts sur images, où l’on voit Proust descendre les escaliers, en gros-plan… Je ne comprends pas pourquoi tout d’un coup tout le monde réagit. Ce chercheur de l’Université de Laval, Jean-Pierre Sirois-Trahan, doit avoir un service de communication très bien organisé!Proust ou pas, tout est donc affaire de communication, de médiatisation, de bruit que l'on fait ou pas. Demandez à Fillon et à Macron...
