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Terminal terrestre, de Daniel de Roulet

Publié le 16 février 2017 par Francisrichard @francisrichard
Terminal terrestre, de Daniel de Roulet

75 ans et un jour après Joyce

le 17 juin 1979

un type se lave les pieds

dans le lavabo de l'hôtel

notre rencontre

35 ans plus tard, Daniel de Roulet, le 18 novembre 2014, embarque, à bord d'un cargo, avec celle qu'il a rencontrée ce-jour-là. Il s'était lavé les pieds pour qu'ils ne sentent pas mauvais, recette lue dans un livre intitulé Comment sauver votre mariage en deux minutes, et qui l'avait fait rire.

L'allusion à Joyce se réfère à la rencontre de l'auteur d'Ulysse avec Dora le 16 juin 1904:

il en a fait la date où

Léopold Blum déambule dans Dublin

Daniel de Roulet, comme l'Ulysse d'Homère et celui de Joachim du Bellay, a fait un beau voyage, du 18 novembre 2014 au 15 juillet 2015, du sud au nord du continent américain, de la Patagonie jusqu'à l'Alaska, en passant par des villes aux noms de rêve dotés de multiples a.

Tous les jours, du moins du 18 novembre 2014 au 16 juin 2015, il écrit des billets, en cachette, destinés à celle qu'il aime et qui l'accompagne dans ce voyage en bateau, en avion, mais surtout en bus, d'un Terminal terrestre (gare routière) l'autre.

L'écrivain et la violoniste sont ensemble pendant tout ce périple, si l'on excepte un intermède d'une semaine du 25 avril au 1er mai 2015, où Daniel rentre seul en Suisse, pour y recevoir le Prix Culture et Société de la Ville de Genève (de littérature).

Daniel reste seul à son tour, au Canada, du 16 juin au 15 juillet 2015. Pendant ce mois de solitude il recopie ses lettres écrites tous les jours de leur odyssée commune pour les lui faire parvenir toutes d'un coup sur son écran:

un stylo à la main

chaque jour pendant sept mois

au lieu de dire je t'écris

j'ai profité de ta crédulité

(Montréal le 15 juillet)

Elle était privée de son violon, mais lui ne l'était pas de son stylo. Et ses billets racontent avec pudeur ce qu'ils ont vécu ensemble, c'est-à-dire des moments d'harmonies et de discordes, comme en connaissent tous les couples, sur fond de petits faits vrais et d'Histoire parfois tragique.

Tous ces billets sont en réalité un long poème d'amour qu'il adresse à celle qui a du mal à vivre sans lui et sans... son violon; et la forme de ces billets le confirme, puisqu'ils ne connaissent ni majuscules, ni ponctuation, hormis quelques points d'interrogation, ici ou là. 

Ce long poème est parsemé de petites phrases tendres qui concluent l'un ou l'autre billet:

ainsi le baiser que je te donne

n'est pas l'amour

juste la preuve de

(A bord de l'Éden le 7 janvier)

l'écart me permet de retomber

chaque jour de haut

dans tes bras

(La Paz le 11 février)

toi et moi on ne croit pas

à la magie

sauf à celle entre toi et moi

(Trujillo le 26 février)

Alors, pourquoi lui écrit-il en cachette?

non pas pour raconter notre voyage

mais pour te dire ce qu'il fait

de notre couple

(Arica le 4 février)

j'essaie de dire

les couleurs de notre bulle

le reste tu l'as vu

(Quito le 9 mars)

Dans son dernier billet, il conseille à sa belle de se méfier de lui puisqu'il lui a menti pour lui exprimer ses sentiments, même les plus tendres, mais il nuance aussitôt, parlant de lui à la troisième personne:

à moins que ses cachotteries

épistolaires ou autres

ne t'offrent comme à lui

la plus grande liberté.

C'est le seul point final du texte... mais ce n'en est toutefois pas le dernier mot...

Francis Richard

Terminal terrestre, Daniel de Roulet, 244 pages Éditions d'autre part

Livres précédents:

Tous les lointains sont bleus Phébus (2015)

Tu n'as rien vu à Fukushima  Buchet-Chastel (2011)


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