C'est en avril 1909 que Le Roi Bombance, de Marinetti, fut joué pour la première fois, les décors étaient de Ronsin, les costumes du peintre Paul Ranson. Ernest La Jeunesse, dans Le Journal, fit le compte-rendu de cette soirée. Quelques mois plus tôt, le 20 février 1909 paraissait dans Le Figaro le Manifeste technique de la littérature futuriste.
Théâtre de l'Oeuvre (Salle Marigny) – Le Roi Bombance, tragédie en quatre actes, de M. F. T. MARINETTI.
Il serait cruel d'épiloguer sur la mésaventure du charmant confrère et galant homme que ses cartes de visite appellent il poeta Marinetti. Après avoir offert dans une revue à lui, à Milan, la plus large hospitalité aux poètes français de ses amis, il est venu demander à Paris ses lettres d'investiture et ses éperons de chevalier, pardon ! de prince lyrique. Il repassera. La stricte vérité nous oblige à dire qu'à la répétition générale, tout au moins, le spectacle fut plus dans la salle que sur la scène, non sans indignation exagérée et enthousiasme hors de saison, avec des cris, des rires, des gloussements qui n'étaient pas dans le programme. Nous avons été rajeunis de treize ans : c'était en rinforzando, la soirée d'Ubu roi. De là à la journée d'Hernani, il y a, je crois, de la marge.
Ce n'est pas que Le Roi Bombance manque de qualité, de verve, d'outrance, de générosité, de farce tragique ; c'en éclate, pour ne pas employer un mot qu'on trouve un peu trop dans la pièce – et cela seul me dispenserait d'en dire plus long. Mais il est des choses qui sont à lire, de temps en temps, et qui ne sont pas bonnes à entendre. Et ce ne sont pas toujours des paroles.
Que puis-je citer, s'il faut des citations ?
-Mes biens-aimés Bourdes, recueillez-vous : le roi va roter !...
-Mes bien-aimés Bourdes, Deo gratias, le roi à roté !
La reine écrit à Bombance « Mon pet bien aimé... »Mais il est tant question de pets que, lorsqu'il y a eu du tumulte, un enthousiaste a traité les protestataires de « Tas de constipés ! ». Je passe sur les « intestins desséchés » et autres gentillesses ; ça ne vaut pas le « Cornegidouille !» du bon et pauvre Alfred Jarry.
C'est du symbole trop clair ou trop bruyant, avec de l'obscurité, des nuages, de l'odeur. En somme, c'est la vieille fable du bon La Fontaine, Les Membres et l'Estomac. Le peuple des Bourdes (sic) détrône son chef, le roi Bombance, chasse toutes les femmes, s'abandonne au cuisiniers Tourte, Syphon et Béchamel, est opprimé par lesdits marmitons, mange le roi, ses ministres et ses maîtres-queux, est obligé de les vomir, - c'est comme j'ai l'honneur de l'écrire, - et les rois, prêtres, ministres, reprennent le pouvoir et la tyrannie jusqu'au moment où Sainte-Pourriture et le vampire Ptio-Karoum s'en viennent faire justice de tout ce joli monde et le rendre au néant d'où jamais il n'eût dû sortir. J'allais oublier un poète qui s'appelle l'Idiot et broche sur le tout, et qui, battu, avalé et rendu comme les autres, broie du noir et de l'azur et vend de l'idéal pour rien.
Les décors variés et éloquents de Ronsin, les costumes fantaisistes et truculents du pauvre Ranson, la vaillance héroïque des acteurs n'ont pas défendu le premier acte de l'indifférence unanime, les autres d'un hourvari sans respect. M. Marinetti aura sa revanche. Au fond, il n'est peut-être pas mécontent : inventeur du futurisme, il compte pour rien le présent. Qu'il se méfie, cependant, de certains blasphèmes inutiles, d'une verve aussi sacrilège que factice et d'un vocabulaire culinaire qui n'a pas d'ailes. J'aime mieux Messer Gaster du divin bonhomme que Le Roi Bombance. Il faut louer, parmi les artistes, M. Garry, poète éthéré et étoilé ; M. Jehan Adès, panse auguste et plus que royale ; M. Henry-Perrin, moine pis que rabelaisien ; M. Maxime Léry, très ardent et très bien disant en marmiton-politicien, et tant d'autres qui piaillent, qui hurlent, qui éructent, qui tuent, qui meurent et qui renaissent à qui mieux mieux.
Tout de même, mon cher Aurélien-François Lugné-Poe, les temps héroïques sont passés !
LA JEUNESSE (Ernest) : Des Soirs, des Gens, des Choses... (1909/1911). Maurice de Brunoff, 1913, 296 pp., couverture illustrée du portrait de l'auteur.
C'est au Journal que parurent les critiques dramatiques reprisent dans ce volume, La Jeunesse y tint cette rubrique à partir du 18 février 1909.
Le Roi Bombance parut en 1905 au Mercure de France.
Ernest La Jeunesse par André Rouveyre